J'avais déjà subit des coups durs dans ma vie, et j'étais persuadé que dans le fond, plus rien ne pourrait m'atteindre réellement, que j'arriverai toujours à passer au-dessus. Seulement cette fois, je dois bien avouer que je n'en étais plus sûr. J'avais fait la connerie de vouloir voir Daeron autrement, et maintenant, je n'allais plus le voir du tout. C'était déjà horriblement douloureux, mais c'était loin de s'arrêter là. J'avais reprit connaissance dans les débris de mon salon inondé, j'imagine quelques heures après le départ de Daeron. Je pouvais les compter approximativement à son odeur déjà bien effacée. J'avais quelques coupures, mais je n'y prêtais pas attention. Je me sentais vide, et j'avais mis un bon moment avant de me résoudre à me relever.

J'ai tout juste prit la peine d'évacuer l'eau qui avait envahit toute la maison, la sortant simplement par la porte, puis j'étais allé retirer ma tenue de bal, gardant simplement le pantalon. Je n'avais pas envie de prendre la peine de me changer, je voulais juste rejoindre la mer. Je ne pensais à rien, mon esprit était vide, et ça valait mieux pour le moment. Je suis sortit de chez moi sans penser une seule seconde à réparer les dégâts, et suis partit rejoindre la mer par le chemin le plus rapide. Au passage, j'avais presque tué un élève qui m'avait demandé si je ne devrais pas aller à l'infirmerie. J'avais passé trois jours sans quitter l'eau, plongé dans un état second où je n'étais réellement conscient de rien, puis j'étais retourné chez moi, et j'ai reçu une visite pour le moins inattendue. Si je ne l'avais pas oublié entre temps, j'aurais pu penser que c'était en rapport avec mon comportement envers l'élève, mais j'aurais eu tout faux de toute façon.

Les directeurs se trouvaient dans mon salon, tranquillement installés dans mon canapé réparé, comme l'ensemble de la pièce d'ailleurs. Je n'ai pas eu le moindre commentaire sur mon état ou mon comportement, mais ils avaient bien un sourire en coin que je préférais ignorer. Ils m'ont juste dit qu'il était temps pour moi d'évoluer, et l'un d'eux s'est levé pour venir poser sa main sur mon front. J'ai sentit son énergie qui remontait le long de son bras, sa main qui chauffait, et la chaleur désagréable qui se rependait dans mon corps. J'aurais voulu me barrer, mais mon corps ne m'obéissait plus depuis un moment, et j'ai juste finit par tomber dans les pommes sans avoir eu le temps de comprendre ce qu'ils me faisaient.

Quand je me suis réveillé, j'étais à nouveau seul chez moi, allongé par terre. Faut croire que ça aurait été trop compliqué pour eux de me laisser sur le canapé à même pas un mètre de moi... Mais j'ai pas eu le temps de me poser plus de questions que je reprenais conscience de mon corps. Une soif intense, insupportable s'était emparée de moi. J'avais jamais rien connu de tel, même dans le désert. Pourtant j'étais encore en forme, alors je m'étais pressé à ma baignoire, mais même totalement immergé dans l'eau, je n'arrivais pas à combler ce manque. Je sais pas trop comment, mais j'ai réussi à rejoindre la mer et me laisser tomber dedans. Pendant environ une dizaine de seconde, je me suis sentit soulagé, à ma place... et puis j'ai eu l'impression d'un trop. Trop d'eau. Jamais de mon existence je n'ai pensé qu'il y avait trop d'eau dans la mer. C'était absolument impossible !

Pourtant si, j'avais dû quitter rapidement l'eau, me traînant sur le sable et peinant pour respirer alors que je reprenais forme humaine. Je comprenais toujours pas ce qu'il se passait, ni ce que les deux timbrés m'avaient fait, mais je me sentais différent. Ou plutôt, j'avais l'impression d'être le même, mais que tout autour de moi était méconnaissable. Je suis resté un long moment sur le sable à lutter contre cette sensation atroce, avant de commencer lentement à percevoir les choses. J'avais toujours vu l'eau comme un ensemble, une masse chaleureuse, accueillante, je ne pouvais sentir l'eau que lorsqu'elle était en suffisamment grande quantité. Seulement là, je sentais la moindre particule d'eau présente autour de moi. Je sentais chacune d'entre elle, grouillante et agressive.

La mer s'était mise à bouillir, et même si je savais que c'était moi qui le provoquait, j'étais incapable de l'arrêter. Je ne la faisais pas juste bouger, je la faisais bien chauffer. J'ai rapidement fuit la plage, sans comprendre ce qui m'arrivait, je me sentais épuisé. Je suis remonté plus haut sur l'île, dans les coins où je ne vais jamais, et où le soleil tapait tellement que l'air et le sol étaient secs. Et pourtant, c'est là que je réussi à retrouver un peu mes esprits. J'ai peur de réellement comprendre ce qu'ils entendaient par 'évoluer'. Au final, cet endroit était devenu mon nouveau refuge. J'avais soif, mais l'eau étant beaucoup moins présente, je ne perdais pas le contrôle. J'ai dû me résoudre à aller chasser très rapidement, parce que cette petite expérience m'avait vidé de mon énergie. Puis c'est enfin là que j'ai prit conscience que mon œil droit était à nouveau opérationnel.

Pendant deux jours, j'ai survécu dans cette zone sèche de l'île, me réapprovisionnant simplement avec des bouteilles d'eau que j'avais ramené de quand j'étais allé chasser. Je comprenais ce qu'il m'arrivait, c'était 'l'évolution' que je ne voulais pas atteindre, et ils l'avaient déclenché de force. J'avais entendu des histoires des anciens de mon clan, à l'époque où ils essayaient encore de maîtriser leurs dons. Ceux qui parvenaient à un stade élevé étaient déjà assez rare, et beaucoup en mourraient. En même temps, si l'eau se mettait à chauffer alors qu'ils étaient dedans, ça ne m'étonnait pas. Quoi qu'il en soit, j'avais pas d'autre choix que d'essayer de contrôler et apprivoiser ces nouvelles capacités. Ça me donnait aussi quelque chose de concret à faire, parce que chaque fois que je me remettais à penser à Daeron je manquais bien de perdre mes réserves d'eau.

Bref, les deux jours suivant, je suis progressivement redescendu des hauteurs de l'île, pour rejoindre lentement ma maison. J'ai réussi à me laver, mais seulement à l'aide d'un gant, me plonger dans l'eau était trop difficile, et rester aussi près de la mer était aussi douloureux. J'ai donc prit quelques affaires, et j'ai quitté l'île. J'ai traversé Santa Juana, et la concentration d'eau beaucoup moins importante était plus facile à gérer, même si ma soif était toujours aussi intense. Je ne voulais pas resté dans un lieux aussi fréquenté, alors j'ai continué à marcher jusqu'à m'arrêter dans un petit village. Je m'y suis arrêté quelques heures dans un bar, puis suis ressortit pour reprendre ma route. Marcher m'aidait à réfléchir à me canaliser. Sauf qu'il s'est produit quelque chose de totalement naturel mais que j'avais un peu oublié : il a plu. Le truc, c'est que j'ai commencé à flipper, perdre le contrôle, et autour de moi, l'eau a gelé, se transformant en flocons et flaques de glaces... et ma faim s'est réveillée, atrocement intense.

Le village n'a pas fait long feu, et sitôt la pluie stoppée, je me suis remis en route. Le même schéma s'est répété pour diverses raisons, à part que j'ai réussi à ne pas décimer des villages entiers, me contentant de quelques bars et lieux fréquentés qui se trouvaient sur mon chemin. Mes pertes de contrôle m'avaient fatigué et donné faim. Le truc, c'est que quand je mangeais, j'avais plein d'énergie, qui ne demandait qu'à être utilisée, et j'avais d'autant plus conscience de l'eau présente tout autour de moi. J'arrivais plus à me sortir de cet état de folie constante, de besoins impossibles à satisfaire, et dans un bref moment de lucidité, j'ai décidé de rentrer à Esperanza. Je me suis dit que là-bas, quelqu'un arriverait bien à me stopper au moins le temps que je me calme un peu.

Le retour avait été difficile, j'avais évité tous les lieux fréquentés, et tous ceux où l'eau était trop présente. Autant dire que j'avais dû faire de larges détours, mais c'était le dernier passage qui avait été le plus difficile. J'étais arrivé de nuit, passant par la terre, parfaitement centré sur le passage qui faisait communiquer l'île et le continent pour ressentir le moins la mer possible. Le truc, c'est que la forêt était aussi humide à cause de la pluie, et les choses gelaient sur mon passage. J'étais obligé de m'appuyer sur les quelques arbres sur mon chemin, tremblant de fièvre, j'avais chaud et j'étouffais. Ma vue était flouée, mais j'avançais toujours avec obstination, même si mon esprit n'était plus du tout clair. En fait, je délirais totalement, marmonnant des choses qui n'avaient aucun sens dans ma langue natale. Je voulais simplement rentrer, me reposer.

Chacun de mes pas était lourd et pénible, heureusement que je n'avais plus vraiment conscience de marcher. J'étais focalisé sur mon objectif sans plus réellement en être conscient. En fait, j'étais même complètement déconnecté de tout ce qui m'entourait, non seulement parce que ma fièvre n'aidait pas, mais surtout parce que c'était plus facile d'ignorer l'appel de l'eau de cette façon. Ce fut une voix familière qui m'interpella, et me stoppa net, pendant que je revenais un peu plus à la réalité. J'ai sentit Daeron si près de moi, et c'est probablement la fatigue qui m'empêcha d'avoir une réaction trop vive alors que tout mon corps voulait se jeter sur lui, que mon esprit voulait se jeter à ses pieds, et que ma faim me déchirait. Je n'ai jamais désiré aussi intensément une énergie...

Je me suis tourné lentement vers lui, seulement, j'ai été pris d'un vertige, et je me serais écroulé par terre si je n'ai pas planté mes ongles dans l'arbre contre lequel je m'appuyais. Une fois le vertige passé, j'avais voulu me redresser, mais ma main ne bougeait plus. En fait, de la glace s'était formée dessus, me bloquant contre l'arbre. J'aurais facilement pu m'en libérer, bien sûr. Pas en faisant fondre la glace, parce que je n'y arrivais pas encore, mais simplement en tirant dessus. Pourtant je n'en ai même pas eu l'idée, alors je suis resté comme un con, la main dans un glaçon collé au tronc.

Enfin, ses mots ont trouvé un sens dans mon esprit. Ce que j'ai fait... qu'est ce que j'ai fait déjà ? Comment j'en suis arrivé là ? Ça tambourinait dans mon crâne pendant que j'essayais de m'en rappeler, et mon souffle plutôt irrégulier faisait échapper des nuages de vapeur d'entre mes lèvres. La nuit était fraîche, même sans que mes pouvoirs ne viennent interférer. Seulement je ne ressens pas le froid, et j'avais seulement toujours cette impression de brûler. D'ailleurs c'était le cas, j'avais une fièvre plutôt élevée. Je ne sais pas trop combien de temps ça m'a prit de trouver une réponse, mais je ne l'ai pas quitté des yeux un instant. Mon regard ne pouvait simplement pas se détacher de lui, et je sentais cette douleur m'enserrer le torse. Puis enfin, c'est en italien que j'ai répondu, parce qu'aucune autre langue ne me venait à l'esprit.

« Les directeurs... »

J'avais la gorge sèche. Pourtant avec toute la glace, ce serait si facile de boire, mais j'avais peur de le faire, et c'était donc difficile de parler. De toute manière, je me vois mal expliquer que les dirlos m'ont prit pour un pokemon. J'ai tout de même réussit à expliquer un peu plus en murmurant à peine :

« ...Mes pouvoirs... »

Mes yeux se sont enfin détaché de lui, et ma tête a roulé avant de se reposer contre la glace où ma main était prisonnière. Puis je me suis à nouveau perdu dans les méandres de mon esprit, soufflant des mots sans plus aucune logique, et des 'j'ai faim'.