Cela faisait quelques jours qu'elle était arrivée. Quelque jours à peine ! Pourtant, Alyss se sentait mieux qu'elle ne l'avait jamais été. Son intégration avait été facile, bien qu'elle ne se soit pas encore véritablement lié d'amitié avec quiconque. Et surtout, elle était plus à l'aise. Bien que la plupart des élèves dissimulent leur identité derrière une apparence humaine, c'était de manière détendue, voire en se fichant totalement de laisser s'échapper des indices flagrants de leur véritable nature. Pas encore à l'aise avec cela, Alyss refusait tout simplement que quiconque voie sa vraie forme. Après 17 années passées à la cacher, elle n'allait pas du jour au lendemain accepter qu'elle pouvait se balader sans risque sous sa forme originelle.

La nuit avait été... particulière. La rouquine est une vraie flemmarde, et généralement une vraie bûche dès qu'elle s'endort, mais l'explosion qui avait eu lieu avait dû réveiller tout le monde vu son intensité. Cela n'avait pas vraiment troublé la lamia qui s'était juste assurée qu'il n'y avait pas de danger imminent avant de se recoucher, n'attendant même pas la fin de l'annonce. Tout ce qu'elle voulait c'était retrouver la chaleur de son lit et se rouler en boule sous les couvertures, sa longue queue lui servant d'oreiller et de doudou.

Le lendemain matin, Alyss ne se réveilla qu'à cause de l'annonce d'urgence. Elle ne l'écouta que d'une oreille, leur grommelant de se taire et se retournant son ses draps en les ramenant au-dessus de sa tête pour cacher la lumière qui commençait à filtrer à travers les rideaux. Il lui fallut quelques minutes pour pleinement être réveillée, comprendre les implications que cela voulait dire et se rendre compte qu'avoir tiré les oreillers au dessus de sa tête laissait sa queue à la proie des courants d'airs ce qui était fort désagréable.

Se décidant enfin à se lever, Alyss tenta de sortir de son lit, c'était sans compter la façon dont elle s'était enroulée dans les draps. Elle réussit donc juste à glisser au sol, se cognant douloureusement le coude au passage. De mauvaise humeur, elle se mit rageusement à tenter de se dépêtrer des couvertures. Et là le drame survint. Une micro tempête rugit pendant quelques secondes dans la pièce, jetant tout ce qui n'était pas solidement fixé sur les étagères au sol, laissant un spectacle fort lamentable et produisant un vacarme monstre. Waw. C'était elle qui avait fait cela ? Alyss sentit un contrecoup : un véritable coup de fatigue. Secouant la tête, elle tenta de reprendre ses esprits et contempla ce qu'elle avait fait. Le désordre ne gênait pas vraiment la lamia, qui était du genre à laisser ses affaires traîner au sol et à ne les ranger que lorsque sa colocataire commençait à lui râler dessus mais là... Complètement mortifiée, et fort effrayée de ce qu'elle venait de faire, elle enfila rapidement les premiers vêtements qui lui tombèrent sous la main, à savoir un haut au décolleté fort provoquant et une minijupe et allait sortir dans le couloir.

Sa main se suspendit à un centimètre de la poignée. Si elle avait les pouvoirs de quelqu'un d'autre, elle ne pouvait plus utiliser son hypnose pour faire croire qu'elle est une jeune femme. Chaque personne qu'elle allait croiser allait la voir avec sa longue queue de serpent ! Un gémissement franchit ses lèvres. C'était pas vrai ! Tentant de se calmer, elle rangea rapidement ce qu'elle avait fait tomber. Bon elle pouvait rester dans cette pièce pour la journée. Tant qu'elle avait des bonbons cela irait bien ! Sauf qu'elle avait terminé son paquet la veille... Elle pouvait bien se priver de nourriture, cela n'aurait nullement dû la gêner puisque les lamias sont capables de se priver plusieurs semaines si nécessaire. Mais Alyss avait toujours été une gourmande insatiable dans l'âme. Impossible qu'elle se prive une journée entière alors qu'elle savait que la cantine proposait trois repas par jour !

Elle envisagea plusieurs possibilités, dont celle de tenter de dissimuler sa queue mais la plupart étaient irréalisables (comment voulez vous dissimuler une queue rouge de quatre mètres derrière vous). Tout ce qu'elle savait aussi des pouvoirs qu'elle venait de recevoir était qu'elle savait déclencher des tempêtes. Et encore elle ne maîtrisait rien du tout ! Elle allait devoir faire attention à ses accès de colère ou de mauvaise humeur... La raison aurait voulu qu'elle se cloître mais son estomac dictait bien souvent son comportement et encore une fois il se mit à protester contre cette idée en grognant sourdement et en lui rappelant qu'il était l'heure d'aller manger. Sauf qu'il y aurait trop de mondes au réfectoire.

Comme il lui fallait trouver de la nourriture-sinon cela allait mal finir- mais qu'elle ne pouvait se diriger vers le réfectoire, Alyss opta plutôt pour les distributeurs. Elle allait faire provision et s'enfermer. Passant sa tête dans le couloir, elle vérifia qu'il n'y avait personne dans les environs et sortit, se ruant littéralement vers les machines. Les bras chargés des petits paquets emballés, elle comptait retourner dans sa chambre quand elle entendit un léger bruit de pas se dirigeant dans sa direction. Paniquée, elle se colla aux machines, espérant que la personne allait faire demi tour ou ne la verrait par miracle pas. Ses mouvements brusques n'aidaient pas, puisque plusieurs sachets tombèrent au sol mais qu'elle ne pouvait les ramasser sans être vue... Maudissant sa malchance, Alyss ferma les yeux, s'attendant au pire. Un cri poussé en la voyant ou quelque chose du genre... C'était les réactions auxquelles elle était habituée...

Alyss jurait intérieurement. Mince mince mince, pourquoi fallait-il évidemment qu’il vienne vers elle ? C’était déjà assez gênant de se faire prendre les bras chargés de sachets mais sous sa forme de lamia c’était encore pire ! Alyss adorait sa queue. Elle passait un temps fou à la lustrer et la frotter pour qu’elle soit éclatante. Mais conditionnée qu’elle était à la cacher tout le temps, elle craignait le regard des autres sur ce long membre particulier. Les seules personnes qui n’en avaient pas tenu compte étaient les sirènes, sa mère et de trop rares monstres… Autant dire que même se savoir entourée de « semblables » ne la convainquait pas d’oublier ses vieilles habitudes.

Peut-être que si les paquets n’étaient pas tombés, il ne se serait même pas rendu compte de sa présence. Peut-être… En attendant elle en avait bien fait tomber, il les avait entendus et vus et puis il n’avait pas tardé à la trouver. Sur le moment, Alyss n’avait plus envie que de se trouver un trou et de se terrer dedans pour un siècle ou deux au moins. Se ratatinant sur elle-même avec un gémissement, elle tenta tant bien que mal de se cacher derrière sa longue queue, cette dernière l’entourant tel un bouclier. Le résultat n’était pas très concluant et lui donnait juste un aspect encore plus pitoyable.

Lorsqu’il ramassa les sachets, ses oreilles frémirent. La lamia releva la tête pour savoir ce qu’il faisait exactement de ses bonbons. C’était plus fort qu’elle… Les bonbons et elle c’était une grande et longue histoire d’amour. Elle en profita pour détailler un peu l’inconnu. Il était grand (même s’il pouvait difficilement rivaliser avec ses cinq mètres comme elle ne pouvait se faire passer pour une humaine), beau garçon aussi. Une beauté particulière, assez attirante mais avec une touche sombre qui la laissait soupçonneuse. Il n’était clairement pas un simple humain et Alyss préférait ne pas savoir ce qu’il cachait derrière son masque de beau gosse.

Contre toute ses attentes, il ne la regardait pas avec un air horrifié ou dégouté mais juste avec un léger sourire en lui tendant ses paquets. Il continua en s’excusant de l’avoir effrayée. Un tout petit peu moins méfiante, Alyss attrapa son sachet de bonbon, ses doigts frôlant ceux du jeune homme. Elle souhaitait toujours disparaître de sa vue mais bon sans ses pouvoirs d’illusions ç’allait être difficile.

Un léger courant sembla passer de ses doigts aux siens et elle put voir un air étonné se peindre un instant sur son visage avant que celui-ci ne redevienne impassible, mais avec une nouvelle lueur dans les yeux. Il avait compris quelque chose mais quoi ? Alyss avait bien eu l’impression qu’il venait juste de se passer quelque chose mais elle aurait bien été en peine de dire quoi. La lueur qui brillait dans son regard lui faisait un peu peur. Se contractant à nouveau, elle se sentit enfermée. Elle était dos au mur et le distributeur l’empêchait de fuir tant qu’il était devant elle. Son ventre était noué.
Elle était inquiète. Ses émotions jouant aux montagne-russes à l’intérieur d’elle, la lamia sentit à nouveau quelque chose tourbillonner en elle, demandant à sortir. Sentant que ce qu’elle avait fait dans sa chambre allait se reproduire, elle se recroquevilla, complètement désespérée tellement elle ne contrôlait plus rien. La micro tempête fut moins forte que celle qui avait rugi dans sa chambre mais suffit pour faire reculer d’un pas le jeune homme. Assez pour qu’elle fuie. Cédant à son instinct qui lui criait la prudence et de retourner à toute vitesse dans sa chambre, elle serra les sachets contre elle avant de souffler un simple « DésoléetMerci» précipité et de repartir à toute vitesse dans les couloirs. Elle pouvait être étonnamment rapide quand elle le voulait.

Elle était paniquée, toutefois son but était clair : éviter tout le monde et retourner dans sa chambre, s’y enfermer et attendre la fin de la journée. Mais évidemment la chance n’était pas de son côté aujourd’hui et quelques élèves devisaient dans le couloir, l’air pas trop inquiet d’avoir vu leurs pouvoirs confiés à quelqu’un d’autre. Evidemment eux ils ne devaient pas provoquer des catastrophes ! Comme ils coupaient le chemin jusqu’à sa chambre, Alyss tenta de se trouver une cachette. Il n’y avait pas beaucoup d’endroit où se dissimuler mais par chance elle pouvait attendre le départ du petit groupe dans un couloir voisin aux longues colonnes qui projetaient deux véritables couloirs d’ombres sous les arcades, enserrant le chemin principal. Elle pourrait s’y faire discrète. Alyss fonça s’y dissimuler, ne se rendant même pas compte qu’elle laissa derrière elle une trainée de bonbons, un sachet s’étant ouvert et laissant derrière elle des petites boules de gomme rouge. Un vrai petit poucet qui s’ignore. Si l’autre gars voulait la suivre, son travail n’allait pas être difficile…
Alyss devait être très mauvaise au jeu de cache-cache.

Alyss s’était roulée en boule dans un coin sombre, avait ouvert un sachet de bonbon et l‘avait englouti à toute vitesse. Manger permettait toujours de diminuer son stress et de la détendre. Elle commença à se plaindre intérieurement de cette journée pourrie, de ses nouveaux pouvoirs qu’elle ne contrôlait pas et de cette foutue rencontre près des distributeurs ! Elle ne l’avait pas fait exprès ! Elle avait juste voulu se réapprovisionner et retourner dans sa chambre ! Rien de plus. Personne n’aurait même dû se rendre compte qu’elle était sortie et voilà que non seulement l’autre gars l’avait vue, et en plus elle lui avait peut-être fait mal. C’était nul !

Tout en maugréant contre elle-même, Alyss tendait l’oreille. Ses sens étaient affutés mais malgré cela la distance était telle qu’elle n’entendait que quelques bruits de temps à autres quand un des trois idiots qui bloquaient le chemin jusqu’à sa chambre haussait le ton. Elle venait juste de trouver qu’elle ne les avait pas entendu depuis un moment et commençait à espérer qu’ils soient partis quand la voix retentit juste derrière elle, soufflant au creux de son oreille quelques mots. Surprise, Alyss bondit littéralement au plafond en poussant un cri mi-surpris mi-terrifié. Un petit cri haut placé, vrillant les oreilles et féminin à souhait. C’était pitoyable ! La lamia s’insulta mentalement de pauvre fille avant de se retourner, plaçant instinctivement sa queue entre elle et l’intrus. A nouveau tous les sachets étaient étalés par terre rooh ! Enervée contre cet individu qui la poursuivait –et contre elle de s’être ainsi fait surprendre- elle le fusilla du regard tandis qu’il levait les mains et riait doucement. Méfiante, la lamia ne le quittait pas des yeux.

Il se présenta, l’informa qu’elle avait probablement récupéré ses pouvoirs et qu’ils allaient être dangereux pour elle. Waa, il était doué ! Elle ne s’en était absolument pas rendu compte en provoquant un mini cataclysme dans sa chambre… Bien qu’elle soit toujours mal à l’aise qu’il la voie sous sa vraie forme, il ne semblait pas y prêter la moindre attention. Qui plus est, elle ne pouvait décemment pas l’envoyer balader. Il aurait pu le prendre mal et surtout il pouvait au moins lui expliquer comment éviter de gaspiller toute son énergie en déclenchant ces bourrasques et micro-tempêtes.

Elle se sentait coincée. Mais comme il semblait qu’il la suivait et qu’elle n’arriverait pas à s’en débarrasser, autant écouter ce qu’il avait à dire. Refusant de lui montrer toute trace de frayeur (surtout qu’elle avait juste envie de rougir et de crier sa honte d’avoir sursauté de peur), la lamia décida de jouer la carte de la fille brave et froide. Redressant le torse, la rouquine croisa les bras sous sa poitrine déjà fortement révélée par la large échancrure de son haut. A nouveau, aucune réaction. Elle s’attendait au moins à ce que son regard s’arrête une seconde sur ses formes mais il ne les fixait pas. Il la fixait elle ! C’était un peu gênant. D’un ton toujours assez froid, elle lui demanda :

« -Et comment tu comptes le confirmer ? Je te préviens, je n’ai aucune envie de redéclencher une tempête et je ne saurais même pas comment m’y prendre. »

Elle pensa un peu tard qu’elle ne s’était toujours pas présentée mais elle se refusait à le faire maintenant. Cela pourrait lui faire croire qu’elle s’adoucissait alors qu’elle voulait à tout prix paraître aussi distante que possible pour qu’il n’espère pas rester trop près d’elle. Une autre journée elle aurait été ravie de tenter de charmer ce beau gosse mais maintenant qu’il l’avait presque coursée dans les couloirs (d’accord elle exagère un peu) et comme elle ne pouvait se faire passer pour une humaine, son seul but actuel était de regagner sa chambre. Si elle l’écoutait encore c’est bien parce qu’il lui proposait de l’aide… Et qu’elle devait ramasser ses sachets de bonbon.

Il l'agaçait ! Rooh elle avait bien vu la lueur amusée qui était passée dans son regard quand elle avait sursauté. Et il n'était clairement pas dupe de sa petite attitude bravache. En plus il avait cet air d'assurance calculé qui l'énervait profondément. On aurait vraiment dit qu'il était persuadé tout savoir sur tout et qu'il s'était décidé dans un élan d'infinie bonté à l'égard de sa pauvre et frêle personne à lui apprendre ce qu'elle devait savoir pour pouvoir éviter de détruire le bâtiment en y déclenchant un mini-cataclysme. Merveilleux ! Vraiment.

Vu comme c'était parti, Alyss allait passer du stade "Je suis effrayée mais je fais semblant d'être courageuse" au stade "Je boude". Toutefois il ne lui en laissa pas l'occasion et s'approcha lentement. Refusant de céder, Alyss ne bougea pas mais se crispa légèrement tout de même. Qu'est ce qu'il prévoyait de faire ? Elle ne se laisserait plus avoir!  Hors de question qu'elle sursaute encore ou qu'elle se remettre à crier. Lorsqu'il leva son bras devant sa bouche, elle fronça des sourcils. Qu'est ce qu'il faisait ? Prête à réagir, Alyss ne put empêcher sa curiosité naturelle de prendre le dessus et observait attentivement ses gestes. Il prévoyait de s'assurer de ses pouvoirs mais bon, il voulait faire quoi là ?

Quand il mordit son poignet jusqu'au sang, la rouquine ne put s'empêcher de frémir. Ca devait faire super mal ! Qu'est ce qu'il lui prenait ? C'était stupide. Elle fronça son petit nez en voyant le sang commencer à goutter le long de son poignet. Beur k ! Il lui présenta ensuite son bras, comme pour mieux lui montrer ce qu'il avait fait. Elle recula légèrement, se maudissant au passage d'avoir à nouveau cédé mais devant son comportement étrange, elle n'avait pas pu faire autrement. Sinon elle aurait quasi eu le nez sur son bras. Elle s'exclama :

"-Mais qu'est ce qui ne va pas chez..."

C'est à ce moment là qu'elle le sentit : l'odeur de son sang. Une fragrance entêtante, de fer et douceâtre. C'était... bizarre. Mais alors même qu'elle retenait une grimace dégoutée, Alyss sentit son ventre se nouer. Pour peu, ce dernier se serait mis à grogner, comme les rarissimes fois  où elle sautait un repas. Elle sentait un besoin de se nourrir, une sorte de soif entêtante mais qui ne pourrait pas être étanchée simplement en buvant. Elle en avait besoin. Elle le sentait mais la simple idée la révulsait. Elle n'était pas une vampire ou un monstre qui croquait les gens. C'était bestial, barbare. Elle ne pouvait décemment pas avoir envie de goûter au sang d'Anazel. Frissonnante, la lamia sentait son corps vibrer d'une envie à peine contenue. Ses pupilles devaient s'être dilatées, ses anneaux se contractaient douloureusement.

Serrant ses bras contre elle, Alyss s'écarta jusqu'à toucher le mur. Plaçant clairement sa queue entre elle et Anazel, elle le regarda, effarée. Qu'est ce qui n'allait pas avec elle ? Pourquoi avait-elle cette envie de lui sauter dessus et de l'étreindre tandis qu'elle poserait ses lèvres sur sa blessure et profiterait de son sang... D'un ton accusateur mais surtout terrifiée par cette envie qu'elle n'expliquait pas, elle lui lança d'une petite voix qui était plus une complainte qu'autre chose :

"Mais qu'est ce que tu m'as fait ?"

Elle en avait envie. C'était instinctif. Un besoin primaire, nécessaire. Elle voulait l'attraper, l'enserrer et prendre ce qu'il lui offrait jusqu'à ce qu'elle se lasse et ait étanché sa soif. Lui la regardait juste patiemment. Une lueur amusée et intéressée au fond des yeux. Il avait senti que cela allait se passer comme cela. Qu'elle ressentirait ce besoin de goûter au sang frais. S'il avait su tout cela, c'est qu'elle avait bien reçu ses pouvoirs. Bon sang, cela l'énervait. Prenant une grande inspiration pour tenter de se calmer, Alyss porta un doigt à ses lèvres, le mordant fort pour tenter de reprendre ses esprits. Pas jusqu'au sang. Si  celui d'Anazel lui faisait cet effet, qu'est ce qui pourrait arriver si elle sentait le sien ?

Alyss s'était retenue. Elle s'était interdit de lui sauter dessus pour goûter à son sang. S'était empêchée de l'enserrer dans ses anneaux et le broyer de toute ses forces jusqu'à ce qu'il s'écroule inconscient et qu'elle puisse profiter de lui. Elle s'était défendue de céder à une soif barbare, bestiale qu'elle savait ne pas être la sienne. Elle avait trouvé la force de s'en priver uniquement car elle savait que si elle avait cédé, elle se serait elle-même condamnée. Elle n'aurait pas réussir à passer ce qu'elle aurait fait, se le serait sans cesse ressassé et aurait été bonne au mieux pour une psychanalyse poussée ! Bref, elle se serait elle-même dégoutée.

Il s'était reculé et avait léché son bras. En étanchant le flot de sang, l'odeur s'amenuisa et l'envie dévorante qu'elle avait d'y goûter s'apaisa. Un peu. Pas totalement. En fait c'était presque pire. Quand elle sentait tout son corps vibrer, pris aux tripes par l'envie de se jeter sur lui et de goûter à son précieux fluide vital elle pouvait s'interdire, ce dire que ce n'était pas elle. Mais là c'était comme une sensation de manque. Elle avait la bouche sèche, toujours cette envie ténue de boire. D'avoir sa dose. Elle se sentait comme une droguée qui n'aurait pas eu son fix et qui est prêtà tout pour en avoir maintenant. Avant c'est quand elle était encore dans son trip qu'elle en voulait plus. Maintenant c'était le manque qui s'était installé et c'était tout aussi, voire plus dangereux.

La sensation n'était pas agréable. Elle avait la même impression que quand elle mangeait trop salé et qu'elle voulait boire alors même que son ventre était plein. C'était la même chose, la même envie tiraillante et agaçante jusqu'à ce qu'on y réponde, avant qu'elle ne vous reprenne d'autant plus. Jamais tout à fait apaisée. Suivant son conseil, elle commença à vider les sachets. Dire qu'elle pensait prendre tout son après midi pour s'empiffrer, elle ne les goutait même plus. Un vrai gaspillage. Il la regardait toujours, les bras croisés avec un air pensif énervant. Elle avait envie de le plaquer sauvagement au mur ou de le faire passer par une fenêtre. Cela c'est sûr réussirait à la divertir et lui faire oublier tout ses petites problèmes ! Bien remontée maintenant qu'il lui avait fait subir tout cela (car pour Alyss c'était lui le responsable, ou ses pouvoirs mais cela revenait pratiquement au même), Alyss redressa la tête et le toisa. Le bout de sa queue vibrait nerveusement derrière elle, montrant qu'elle était fort contrariée.

"Je voudrais surtout que tu cesses de jouer avec moi comme cela. Tu savais que j'allais avoir une telle réaction et maintenant tu sembles presque déçu que je me sois contenue. Moi je ne comprends rien à ce qu'il se passe exactement ni quels sont les pouvoirs que tu m'as transféré mais cette envie de sang n'est sûrement pas mienne et je ne compte pas y répondre."

Elle avait réussi à parler sans s'énerver ni hausser le ton. C'était un effort admirable en soi. Elle profitait de sa queue pour avoir une position surélevée par rapport à lui. Levant un doigt qu'elle plaça contre son torse en appuyant au niveau du plexus solaire, elle continua :

"Alors oui, j'aimerais toujours que tu me laisses tranquille. Mais avant j'apprécierais encore plus que tu me dises comment éviter de produire un mini cataclysme dans le bâtiment puis j'irai m'enfermer dans ma chambre jusqu'à demain. Tu retrouveras tes pouvoirs, je n'en aurai pas profité et cela me conviendra pleinement !"

Mais il était complètement barge ! Alyss n'était plus agacée mais vraiment énervée contre lui. Au moins elle se fichait maintenant totalement qu'il la voie sous sa forme de lamia, elle était tellement furieuse que cela était relégué au dernier rang de ses préoccupations. Pour le moment c'était surtout l'envie de l'enserrer dans ses anneaux et le broyer contre un mur qui dominait.

Quand il reprit la parole, on entendait clairement qu'il ne s'amusait plus. Tant mieux, cela lui apprendrait à stalker de jeunes filles, et à tenter de les terrifier avant de vouloir s'automutiler devant elles. C'était une habitude chez lui ? Sa passion du jeudi soir pour se divertir quand il n'avait pas une autre victime à traumatiser ? Seulement, sa voix était chargée de pouvoir. Un pouvoir qui la forçait à rester coite et à l'écouter sans pouvoir bouger un muscle. Intérieurement Alyss fulminait mais elle savait bien que malgré toutes ses connaissances sur l'hypnose, elle serait incapable de briser le sort tant qu'il l'envoûterait ainsi. En plus sa nature de serpent devait même contribuer à assurer son maintien. Elle avait déjà été comme charmée en entendant certaines fréquences de son ou de musique, c'était instinctif. Sauf qu'ici c'était encore plus fort.

Il semblait plus énervé par le fait qu'elle soit elle-même en colère et qu'elle n'ait pas accepté de succomber à ses pulsions qu'autre chose. Evidemment, quand on a devant soi quelqu'un qui refuse de suivre votre mode de vie on n'apprécie pas. S'il buvait du sang chaque jour il était clairement à ranger dans la catégorie des gars barbares qu'elle ne voulait plus revoir de sa vie ! Son attitude aussi ne faisait qu'attiser son courroux. Il lui tournait autour en jouant clairement encore avec elle. Elle appréciait généralement qu'on se montre entreprenant et charmeur mais dans une telle situation c'était plutôt l'effet inverse : elle commençait à l'exécrer.

Il termina son petit discours, sans grand effet sur Alyss qui était bien trop énervée pour accepter de s'incliner alors qu'elle réfutait chacun de ses arguments. S'il n'avait pas eu l'intention de lui faire boire son sang, il avait été inutile de se mutiler devant elle. Cela n'avait clairement fait qu'empirer les choses. Il avait voulu l'aider ? Tenter de la faire succomber à des pulsions primaires et bestiales n'était pas vraiment ce qu'elle qualifiait d'aide. Il la considérait comme faible ? Il allait voir que la plupart des races détestaient les lamias pour d'autres raisons que leur faiblesse. Elle n'avait pas ses pouvoirs mais elle commençait à appréhender ceux qu'il lui avait prêté. Du moins elle pensait pouvoir lui lancer une bonne bourrasque dans la figure. Seulement s'il était capable de l'hypnotiser par la voix, elle serait bien incapable de réussir à l'atteindre avant qu'il ne l'arrête. C'était agaçant.

Bien qu'elle ait juste envie de tordre son petit cou de démon prétentieux et sûr de lui, elle n'était pas assez stupide pour se lancer dans un combat perdu d'avance. Elle n'avait cependant aucune envie de s'excuser alors qu'il était en tort. Elle n'avait rien fait, excepté s'enfuir en courant ce qui n'était pas un crime et elle n'avait jamais aussi le ton.

Elle hésitait tout de même quant à la conduite à tenir. Si elle partait, il la pourchasserait, ce qu'elle avait à tout prix envie d'éviter. Surtout qu'en un mot il pouvait l'hypnotiser... Si elle restait, elle risquait encore d'empirer les choses puisqu'elle n'avait envie ni de s'excuser ni de lui faire plaisir en acceptant ses pouvoirs de démons et ce qui s'ensuivait. Oui elle avait envie de se cloîtrer dans sa chambre et non cela ne lui faisait ni chaud ni froid d'avoir obtenu les pouvoirs d'un démon pour une journée et de devoir se battre contre une envie de sang dévorante. Mais bon si elle le lui disait ainsi il allait encore s'énerver.

Plus diplomatiquement, elle lui répondit en préférant l'hypocrisie -même si elle pensait intérieurement qu'il avait une notion bizarre du pacifisme et de la générosité- :

"Très bien, j'admets que je n'avais pas compris que j'avais hérité des grands pouvoirs d'un démon, cela n'empêche que je n'ai jamais demandé à les avoir et que je n'ai aucune envie de devoir trouver quelqu'un à qui ponctionner du sang alors qu'en soit je peux très bien me retenir une journée et que dès demain j'aurai à nouveau mes pouvoirs et toi les tiens. Ne t'inquiète pas pour tes pulsions, je sais me maîtriser."

Elle avait tout débité d'un ton doux, légèrement sucré et teinté d'une pointe de repentance, le genre de ton que vous prenez quand vous tentez de convaincre quelqu'un que vous avez commis une bêtise mais que ce n'est pas entièrement votre faute. Elle avait conclu sa dernière phrase en y plaçant toute son assurance et en calant ses yeux dans les siens, juste histoire qu'il comprenne bien qu'elle était persuadée de ce qu'elle affirmait. Alyss avait un peu d'ego mais n'hésitait pas une seconde à l'écraser pour assurer sa sécurité. Quant à ses pulsions, tant qu'on ne lui mettait pas du sang sous le nez elle se savait tout à fait capable d'y résister. Elle allait juste se goinfrer avant de commencer une longue sieste. Si jamais elle n'y arrivait pas à cause du manque, elle entrerait dans un état dé détachement mental. Elle avait dû beaucoup le pratiquer pour maîtriser l'état d'esprit nécessaire à invoquer des illusions. Cela lui permettait d'oublier la douleur ou la faim mais avait comme net désavantage qu'elle devenait inconsciente de son environnement et de l'écoulement du temps. La dernière fois qu'elle avait fait cela, elle avait réussi à être ainsi 32 heures et son estomac criait famine quand elle était revenue à elle.

Pas puissant ? Lui ? Sérieusement, Alyss n'avait aucune envie de rencontrer un démon qui soit considéré comme doué de pouvoirs plus important que la moyenne si Anazel était considéré comme un démon normal avec les pouvoirs qu'elle sentait tourbillonner en elle. Bon, un point en sa faveur : il s'était -enfin- excusé. Un peu apaisée, Alyss continua à le regarder dans les yeux. Il n'allait sûrement pas être mal à l'aise devant ses pupilles ovales mais elle préférait cela. Elle avait le sentiment que tant qu'elle pouvait maintenir un contact visuel direct, elle avait un peu plus de contrôle sur les événements, or ces derniers étaient devenus trop incontrôlables à son goût dernièrement. Cela venait probablement du fait que ses pouvoir étaient fortement liés à la vision de son adversaire en temps normal.

Sa réflexion concernant sa forme était par contre extrêmement désagréable à imaginer. Elle s'imaginait avec des cornes, des grands crocs ou quelque chose du genre ! Beurk ! Elle était une lamia coquette et raffinée ! Pas une nouvelle démone.

"-Je pense que c'est dû au fait que l'échange ne soit que provisoire. Mon corps n'a pas eu le temps ou le besoin de se transformer. Et honnêtement, j'ai déjà assez de mal avec seulement tes pouvoirs. Si je commence à me transformer je pique une crise de nerfs et tu vas me retrouver en train de pleurer, roulée en boule dans un coin."

Ecoutant en silence ses explications concernant son pouvoir, elle finit par hocher la tête. D'accord, ils étaient fort instinctifs, cela elle l'avait compris, dès qu'elle s'énervait ou prenait peur elle manquait de dévaster la pièce dans laquelle elle se trouvait. Maintenant s'il avait un truc pour se contrôler ou limiter les effusions, elle était preneuse!

"D'accord, cela j'avais compris mais..."

Comme elle était toujours aux aguets, et peut-être grâce aux pouvoirs d'Anazel, Alyss entendit bien à l'avance le bruit de pas venant vers eux. Mince encore quelqu'un ! Peut-être même les jeunes qui discutaient plus tôt et qu'il avait berné pour qu'ils dégagent la route. Regardant le jeune homme -enfin "jeune" pour un démon, une petite centaine d'années c'était pas rien... -, Alyss prit rapidement une décision assez osée mais les circonstances la poussaient un peu. Attrapant sa main, elle commença à le tirer vers sa chambre, lui soufflant en même temps :

"Quelqu'un vient. On sera plus tranquilles pour discuter dans ma chambre."

Il la suivit sans opposer trop de résistance. Il avait compris qu'Alyss ne désirait pas être vue. Pour le fait de se retrouver dans la chambre d'une fille, il n'avait pas laissé échapper la moindre réaction. C'était un peu dommage. Poussant la porte, Alyss grimaça. Elle avait un peu rangé, mais c'était fort sommaire et la pièce était clairement dans un état de désordre avancé. Faisant toutefois comme si de rien n'était, elle alla se lover dans un coin de la pièce, confortablement assisse sur sa longue queue et refocalisa son attention sur Anazel.

"Bon, je t'écoute. D'après toi qu'est ce que je dois faire pour ne pas prendre de risques ?"