La bibliothèque. Un endroit calme, parfait pour étudier ou trouver un livre pour un travail ou pour le simple plaisir de la lecture. Cela pouvait attirer certaines personnes, surtout les premiers de classe... Ceux qui offraient des pommes avant le cours aux professeurs, leur ciraient les bottes et finissaient immanquablement par avoir les meilleures notes. Si on leur demandait de réciter le nombre pi, Alyss était sure qu'ils pouvaient descendre jusqu'à au moins la centième décimale ! Quoi qu'il en soi, dans cet antre de la connaissance la lamia n'avait pas vraiment sa place. Sa seule contribution au cours se traduisait par baver sur son bureau et elle était plutôt du genre à garder ses sucreries pour elle seule. On pouvait donc légitimement se demander ce qu'elle venait faire ici. En fait c'était assez simple, les fauteuils étaient capitonnés, moelleux à s'en damner, bref parfaits pour une sieste. Et comme c'était l'une des activités favorites de la demoiselle, la bibliothèque était devenu un de ses lieux privilégiés de flemmardise.

Ayant fait l'effort de ne pas s'endormir à ses cours aujourd'hui, en partie parce qu'il fallait quand même qu'elle retienne assez de matière pour réussir son année, Alyss avait bien l'intention d'aller se lover dans un fauteuil, ce dernier installé près d'un radiateur et si possible près d'une fenêtre pour profiter un peu des rayons du soleil. Bon il faisait pas superbe dehors mais une fois qu'elle aurait fermé les yeux, ce serait quand même un petit coin de paradis pour la flemmarde qu'elle était.

Passant rapidement à travers les rayonnages, la rouquine piocha distraitement deux ouvrages sans même lire leur titre. Ainsi si un éventuel passant la voyait, il pourrait croire qu'elle était en train d'étudier. On sait jamais, pour elle non content d'être des lèches-bottes, les premiers de classe qui trainaient ici étaient surement des fayots. Si on la surprenait, on irait sans doute chercher un bibliothécaire. Cela ne lui était jamais arrivé jusqu'ici, heureusement. Peut-être que son charme naturel avait su calmer leurs ardeurs de dénonciation, ou alors elle avait eu de la chance. Quoi qu'il en soi, tant qu'elle pouvait continuer ses siestes elle n'allait pas se priver.

Une fois arrivée dans un coin de la bibliothèque qui répondait pile à ses critères, la lamia s'estima fort satisfaite. Elle n'avait vu personne, et ici on ne viendrait sûrement pas l'embêter. Sortant de son sac un bonbon, elle commença à le manger avec une mine réjouie et s'installa confortablement dans le fauteuil. Grâce à son sort d'hypnose, on avait maintenant l'impression que son image d'humaine avait les jambes repliées contre elle. En réalité sa longue queue s'étaient enroulée autour du siège et la pointe de sa queue reposait sur le radiateur qui dispensait une agréable chaleur mais elle était assez prudente pour que le sort ne s'effiloche pas pendant de simples siestes.

Laissant s'échapper un grand bâillement, la demoiselle sourit et ferma les yeux, se rappelant un dernier avantage de la vaste salle : ici le silence était de rigueur. C'était parfait ! Alyss s'abandonna au sommeil, une oreille toujours tendue pour prévenir l'arrivée d'un gêneur.

Ma journée aurait pu s'estimer malheureuse si je n'étais pas tombé sur la bibliothèque. J'ai beau avoir eu quelques heures de cours aujourd'hui, je suis en proie à un ennui mortel. Et ne sachant que faire pour vaincre ce mal, je n'ai pas songé à ce lieu directement. J'avais prévu de marcher un peu, sans but fixe et avec une simple envie d'aération cérébrale quand la porte de la bibliothèque m'a attiré. Au départ, elle ne m'a pas sauté aux yeux... Et si chaque porte croisée retenaient mon attention, j'aurais bien trop de chose à voir. S'ennuyer peut être considéré comme un signe de paresse, et je n'aime pas vraiment ça. Alors, quand la porte portant l'indication « Bibliothèque » s'est démarqué, je n'ai pas hésité avant d'entrer.

En franchissant la porte, je sais d'ores et déjà ce que je vais faire. Pour le deviner, il ne faut pas être Dieu, et pour l'ignorer, il faut être incroyablement stupide ! Le divertissement le plus probable est et restera la lecture dans un lieu comme celui-là. En plus, les livres sont un passe-temps que j'adule. Mes parents ne voulaient pas de télé, et je n'ai jamais ressenti le besoin de fixer un écran pour me relaxer. Si j'ai un portable, c'est essentiellement par nécessité. Bref, j'estime que le papier est une valeur sûre pour voyager sans se déplacer.

Je salue la bibliothécaire avant de m'enfoncer dans les rayons garnis de titres en tout genre. C'est un vrai havre de paix, et ça le sera encore plus lorsque j'aurais parcouru l'entièreté des étagères. Non, je ne compte pas tout lire, simplement me faire une idée de leur possession en matière de live. J'attrape quelques bouquins au passage, que je connaisse ou non. En changeant de rayon, je découvre un fauteuil magnifiquement bien placé. Lui, il se voit beaucoup plus que la porte d'entrée. Je souris en m'approchant du coin de paradis, hâtif de m'installer dessus. Mais avant, il me faut plus d'ouvrages.  Je dépose les quelques livres par terre, non loin du fauteuil, puis j'abandonne l'endroit pour revenir plus tard.

La bibliothèque avait l'air déserte lorsque je suis entré. Maintenant, une fille se trouve sur la place que je convoite. Embarrassé de devoir la perturber, je ne bouge pas immédiatement. Et elle dort, on dirait. Seulement... Dormir, elle peut le faire ailleurs. Si je pouvais, je la virerais sans retenue.  Je soupire et m'approche de l'inconnue discrètement, ne désirant pas brusquer son réveil. Ensuite, je pose mes livres sur le chauffage, côté fauteuil. Je la secoue légèrement pour qu'elle ouvre les yeux. Soucieux de l'endroit silencieux, je lui dis à voix basse.

« Désolé de te déranger, mais pourrais-tu choisir un meilleur endroit que la bibliothèque pour t'assoupir ? »

Alyss commençait tout juste à délicieusement s'assoupir qu'il fallut évidemment que son petit coin de paradis soit parasité par un de ces agaçants élèves qui venaient à la bibliothèque pour des raisons sérieuses... Non content de la réveiller en la secouant doucement -au moins il ne lui avait pas crié dessus-, il avait même posé ses livres sur le bout de sa queue. Celle-ci, bien que particulièrement résistante était l'une des zones les plus sensibles de la lamia. Qu'il ait laissé ses bouquins dessus équivalait à peu près à ce qu'un humain aurait senti si on lui avait marché sur les orteils... En fait c'était surtout cela qui l'avait réveillée. Qu'il n'ait pas pu voir ses anneaux enroulés autour du fauteuil à cause de son sort n'était pas une excuse valable aux yeux de la rouquine.

Fort peu ravie qu'on ait interrompu sa sieste, Alyss vérifia qu'il n'avait pas fait appel au préalable à la bibliothécaire. Constatant que non, elle se calma et refocalisa son attention sur l'importun qui venait l'ennuyer. Lui jetant un regard digne d'une gamine en train de bouder -ce dont au fond elle était fort proche-, elle se laissa aller à un élan de mauvaise humeur en faisant basculer les livres qu'il avait déposé d'un coup de queue, ramenant au passage le bout de cette dernière contre elle. Le bruit des livre tombant sur le sol manqua de lui arracher un grand sourire de contentement. Le pire c'est qu'il ne devait même pas avoir remarqué que c'était sa faute. C'était risqué car s'il se doutait du contraire, le sort d'hypnose serait d'autant plus facile à percer mais cela lui avait procuré une telle satisfaction que la lamia ne regrettait pas d'avoir pris ce risque. Faisant semblant de jeter un regard au soi-disant "accident", elle lui lança d'un ton peu amène :

"Tu devrais faire attention, à mal déposer les livres ils vont s'abîmer." Jouer la bonne sainte qui n'a rien à se reprocher lui apportait une certaine félicité intérieure. Elle avait eu un instant l'envie de nier les faits avec quelque chose comme "Non non, je ne dors pas." mais cela aurait plus consisté à avouer les faits qu'autre chose et l'aurait placée en situation de faiblesse. Reporter la faute sur lui permettait d'inverser les rôles. Elle en profita pour répliquer à sa remarque en espérant lui clouer vite fait le bec et qu'il la laisse tranquille. "Et ce siège est confortable. J'y suis j'y reste. Trouve t'en un autre."

Elle fit mine de se désintéresser de sa personne mais épiait discrètement sa réaction. Avec un peu de chance, elle allait le déstabiliser et il ne saurait pas répondre. Le tout c'était de rester calme. Imperturbable, elle pourrait le laisser fulminer et jouer avec lui. Après il ne semblait pas vraiment du genre à s'énerver et à tempêter pour si peu. Elle l'aurait plutôt rangé dans la catégorie particulière des gars intelligents mais pas très sociables qui se mettent à bafouiller dès qu'on les contredit et qui n'osent pas s'imposer. Une proie facile somme toute. Mais elle devait faire attention quand même. Elle était bien placée pour savoir à quel point les apparence peuvent être trompeuses et si elle poussait le bouchon trop loin et qu'il allait chercher la bibliothécaire dont il était sans doute un chouchou, elle allait avoir des ennuis et ne pourrait plus revenir.

Il était étrange qu'elle s'amuse d'être prise sur le fait, mais tenter de jouer avec ce garçon était particulièrement tentant. Laissant un demi-sourire fleurir sur son visage, la lamia fit mine de s'étirer, dévoilant son décolleté plongeant et prenant au passage une pose assez suggestive. Elle guettait le moindre faux-pas ou regard déplacé vers sa personne pour en rajouter une couche et l'embarrasser encore plus.

J'ai à peine le temps de relever son regard désagréable que les livres s'écrasent par terre. N'y comprenant rien, je me baisse aussitôt pour les ramasser. Ils étaient pourtant bien posés... C'est stressant, je n'aime pas voir des objets qui ne m'appartiennent pas s'abîmer aussi vite ! En plus, je ne connais pas la bibliothécaire, elle pourrait le prendre plus que mal. Je jette un coup  d'œil vers elle pour voir si elle a remarqué. Non. Heureusement, je n'aurais pas su me justifier. Parce que vraiment... Je suis certain de ne pas avoir négligé les bouquins... Mes mains tremblent presque, c'est galère de les ramasser correctement.

Je ne crois pas avoir vu des pages froissées ou pliées... C'est un grand soulagement, mais je ne peux m'empêcher d'inspecter les œuvres sous tous leurs angles. Imaginons que ce soit le cas, et que cette garce (pardon) aille rapporter à la bibliothécaire... Je ne désire absolument pas avoir d'ennuis... Et si je ne peux pas accéder aux livres, j'aurais plus de temps mort. Pitié non... Je suppose que ma détresse se lit sur mon visage, mais je m'en préoccupe pas du tout. J'essaye juste de trouver des semblants de mots pour répondre à la fille.

« P-P-Pour... Concernant les livres, ce n'était pas voulu... Et ils sont... Ils ne... Ils n'ont rien. »

Ce qu'elle me sort me tape sur les nerfs en même temps qu'elle me stresse. « J'y suis j'y reste » ? Quel respect du prochain... Pas étonnant que le monde tourne mal avec des énergumènes pareils posés dessus. C'est aussi une façon très primitive de penser. Il serait plus logique de céder sa place à quelqu'un qui témoigne d'un réel intérêt pour le lieu. Les lits sont faits pour dormir, et qu'elle ne vienne pas me dire qu'elle n'en a pas. C'est absurde de se battre pour un fauteuil, mais ce n'est pas tant l'objet de mon énervement. C'est son comportement. À mon avis, si je lui pose une seule question sur les livres qu'elle tient, elle ne saura pas me répondre. En faisant ça, elle ne respecte pas le travail de l'auteur.

Je dépose les livres précédemment tombés sur ceux que j'avais posé au sol, tout à l'heure. Même si mon geste est maladroit, la pile tient comme il faut. Je pense qu'il est inutile de dire à l'autre que j'étais là avant. Pour lui répondre, j'estime normal de la regarder, ne serait-ce qu'un peu (parce que tout à l'heure, en lui parlant, je ne la regardais pas...). Remarquant les détails lorsqu'elle s'étire, je ne m'attarde pas. Ce n'est pas parce que je suis un ange que je suis irréprochable, mais je ne suis pas un obsédé pour autant. Je la regarde dans les yeux pour lui parler.

« Nous sommes dans une bibliothèque, pas dans un repère de putes. De ce fait, il serait appréciable que tu ailles dans ta chambre pour exercer. Toutes mes excuses pour t'avoir traitée ainsi, mais bon... »  

Ma voix a presque vacillé vers la fin, mais le principal a été dit clairement. Je suis resté calme pour lui dire ça, même si ça me déplaît beaucoup. Pas d'être calme, d'insulter. Enfin... Je pense qu'elle le mérite amplement. J'espère juste qu'elle ne s'emballera pas trop, je risque de perdre davantage mes moyens.

Comme elle le soupçonnait, il agit en bon premier de classe. Sa première réaction est de ramasser les livres et de les reposer sur le petit tas qui était déjà présent à son arrivée. Il semble déjà plus stressé. Il a peut-être peur d’être sanctionné si la bibliothécaire se rend compte qu’il a abîmé les livres. Pour lui être privé de l’entrée serait sûrement comparable à une privation de bonbon pour la lamia. Elle a bien fait de lui faire porter le chapeau, en plus d’être amusant, cela l’a bien déstabilisé. D’ailleurs il bégaie. Elle aurait presque pitié. Pauvre petite chose. Sentant un sourire se dessiner sur son visage, elle se recale plus confortablement dans le siège.

Elle est presque déçue quand elle se rend compte que ses charmes féminins n’attirent pas son regard. Bon son mouvement ne lui a pas échappé mais il a vite détourné les yeux. Ce serait vexant pour peu. Elle sent l’envie mesquine de faire basculer la pile de livres nouvellement formée monter en elle. Mais là ce serait trop voyant, elle se retient donc. Repartant à la charge, le jeune homme reprend son petit discours moralisateur plus vivement. Déjà il ne bafouille plus. Il ne s’est même pas mis à crier. Elle ne s’attendait surtout pas à ce qu’il aille jusqu’à comparer la situation à une maison de p asse. Ravalant le petit air surpris qu’elle affichait après ses propos, Alyss retient un léger rire. Elle s’amuse là ! Il l’amuse ! De plus en plus intéressée par ce jeune homme, elle se penche vers lui, approchant dangereusement son visage du sien. Bien plus que ce que l’on accepterait d’ordinaire. Cela risque de le mettre mal à l’aise, tant mieux ! Son instinct la pousse même à passer ses anneaux autour de lui pour l’enserrer doucement mais elle préfère éviter de révéler sa vraie nature et se retient donc. Faisant mine d’être attristée des propos, elle lui lance :

« Tu me vois comme une fille facile ? Charmant. » Elle se tait un instant, espérant qu’il culpabilise des termes employés avant d’utiliser à son tour un langage plus cru. « Malheureusement pour toi mon mignon, je suis née pour emmerder le monde. Et puis ce n’est pas la place qui manque, il y a un tas d’autres sièges à d’autres endroits dans la bibliothèque. »

Elle montre vaguement un autre côté de la bibliothèque. En soi cela s’applique aussi à son cas mais elle était là la première, qu’il aille voir ailleurs. Ce siège était clairement le mieux situé de toute la pièce. Il avait tout ce qu’on pouvait lui demander : place au soleil, près d’un radiateur et positionné de façon à pouvoir avoir accès à la moitié des rayonnages en deux pas. Mais cela n’empêchait pas un élève poli et bien élevé comme lui d’aller en chercher un autre quand une fille malpolie et flemmarde comme elle se l’était déjà attribué non ?

Estimant qu’elle peut encore un peu l’embêter vu qu’il semble d’un naturel plutôt calme –après tout il n’a pas encore crié-, la demoiselle poussa encore un peu plus loin son attaque. Levant la main, elle vint la poser doucement contre sa joue et susurra lentement à son oreille :

« Mais si tu préfères, on peut le partager ! »

Elle trépignait intérieurement de voir comment il allait réagir à sa tentative de séduction. Cela risquait d’être très très intéressant. Et très très amusant aussi. Retenant un ricanement, elle le fixa, attendant qu'il agisse. Il n’était pas moche, loin de là, même si sa première impression était de le voir comme un intello ennuyant. Elle devait reconnaître qu’il n’était pas comme la majorité des premiers de classe aux bras de poulets tout pâles. Elle aurait bien tenté de le séduire dans d’autres circonstances.