Aujourd'hui, le soleil éclatant qui régnait sur Esperanza avait réussi à me faire quitter l'obscurité de ma chambre, et le confort de mon lit. Ça faisait déjà deux jours que j'étais rentré à l'école, après un long séjour à l'extérieur pour présenter mes nouvelles créations dans quelques unes de mes galeries, pour lesquelles j'ai dû chaque fois rester un moment, rencontrer d'autres artistes, journalistes, ou simples amateurs d'art. Évidement, cela ne me dérangeait pas à proprement parler. Même si je suis toujours un peu réticent à parler de mon art, c'est toujours avec plaisir que je rencontre et échange avec des artistes. Non, ce qui m'a réellement déplut en revanche, c'était les fêtes qu'ils se sentaient obligés d'organiser. Une soirée pour présenter l'exposition, passe encore, mais s'ensuit toujours un tas d'invitations, qui finissent par ne plus avoir le moindre rapport avec le travail. Et voilà que je ne sais plus quand dire non, et me retrouve embarqué dans tellement d'histoires improbables... Le pire du pire, restant bien sûr toutes ces boissons qui me suivaient partout, et qu'il m'était impossible de refuser pour ne pas paraître impolis...

Cela faisait donc deux jours que j'étais cloué au lit, essayant de me remettre de cette migraine qui ne me quittait plus depuis des jours, et revenait encore et encore. Plus jamais je ne veux boire de ces choses ! Si j'étais forcé à me lever aujourd'hui, c'était parce que je n'en pouvais tout simplement plus de rester enfermé, j’étouffais entre ces quatre murs. Je m'étais habillé simplement des premiers vêtements qui me tombèrent sous la main, à savoir un pantalon sombre, une chemise blanche, et un manteau long sombre. Je n'aimais pas me couvrir, mais j'étais bien obligé de constater que l'alcool avait un effet dévastateur sur mon organisme...

Une fois dehors, prendre une bonne bouffée d'air frais m'avait fait un bien fou ! L'espace d'un instant, j'eus l'impression de renaître... jusqu'à ce que mon estomac tente de s'échapper. Je me suis appuyé d'une épaule au mur près de moi, serrant mes bras contre mon ventre. J'avais fait trois pas depuis la porte menant aux dortoirs, pas terrible comme progression...

Je pris un court instant pour me reprendre avant de partir d'un pas lent vers la forêt. Jusqu'à l'atteindre, et pendant toute la traversée des jardins, j'avais gardé un air digne, normal, comme si tout allait parfaitement bien. Puis une fois à l'abri des arbres, là je me sentais enfin à mon aise, je ne fis plus semblant, m'arrêtant un moment, m'écroulant contre une vielle souche. J'ai somnolé un petit moment, profitant des doux rayons du soleil qui chauffaient ma peau, puis me sentant un peu mieux, je me suis décidé à changer de forme.

Abandonnant mes vêtements à la souche qui avait abrité ma sieste, je partis sous ma vraie forme déambuler dans les bois. À vrai dire, ça faisait tellement longtemps que je n'avais pas profité d'un peu de liberté, que j'oubliais mon état pour filer à tout allure, courant et sautant à travers les branches et les racines comme un jeune renard fou. Je m'amusais d'un tout et d'un rien. Que c'était bon d'être enfin soi-même ! Jusqu'à ce qu'à nouveau, mon estomac me rappelle à l'ordre.

Immédiatement, je repassais sous forme humaine, et sitôt ceci fait, je me retrouvais à quatre pattes, nu dans la terre humide, toussant, et régurgitant mon petit déjeuner, pestant dès que mon souffle me le permettait. Génial... Plus jamais les soirée, plus jamais !

Je me trouvais parfaitement ridicule dans cet état, et alors que je finissais de vider mon estomac sur le sol, dans ma tête repassait des milliers de scénarios, où j'aurais pu m'enfuir sans offenser qui que ce soit. Oui, j'ai été stupide, j'aurais parfaitement pu éviter cette situation, mais j'ai prit les choses à la légère, alors voilà que j'en paie le prix... J'aurais dû y aller plus doucement sur mes jeux, ça n'a pas dû arranger les choses non plus. À croire que je ne faisais que des mauvais choix quand ça concernait ma convalescence. J'avais tellement peu l'habitude d'être malade, je ne savais pas du tout comment m'occuper de moi, et je ne voulais pas ennuyer Tara pour si peu non plus.

Malgré que je ne sois pas au top de ma forme, j'ai quand même sentit quelqu'un approcher. Du moins, quand cette personne fut suffisamment proche. J'ai été perturbé de sentir mon odeur sur elle aussi, jusqu'à comprendre qu'il s'agissait de mes vêtements qu'elle avait rapporté. J'avais fait tellement de chemin depuis la vielle souche que je ne compris pas ce geste. Du moins, pas jusqu'à ce qu'une voix féminine et furieuse retentisse, faisant siffler mes oreilles sensibles, et me jette mes vêtements à côté.

Super... c'était bien ma veine ça ! Non seulement on m'avait surprit dans cet état, mais en plus de ça, il s'agissait d'une hystérique qui tirait des conclusions stupides et ne faisait en rien s'arranger ma migraine. Je n'avais pas pu retenir un soupire, moitié exaspéré, moitié pour évacuer la douleur. Le son de son instrument me faisait serrer les dents tellement mes tympans vrillaient, et mon instinct me disait que ce ne serait pas une bonne chose si elle se mettait à jouer.

Au moins, maintenant vidé je pouvais me reprendre, et j'ai redressé la tête pour poser les yeux sur une belle femme aux cheveux blancs. Je ne l'avais jamais vu, ni n'avais la moindre idée de qui il s'agissait. Pas une élève assurément, elle ne m'aurait pas appelé de cette manière, mais j'avoue que ça ne changeait pas grand chose pour moi.

« Tout d'abord, je vous prierais de m'épargner les longs discours sur la nudité. Qu'y a-t-til de malfaisant à sa tenue originelle, à sa forme pure et sans contrefaçon ? Si cela heurte votre pudeur, je m'en excuse, et voyez, je me rhabille. »

Qu'elle garde ça pour les humains ! Je n'ai pas besoin de m'entendre dire ce genre de choses. En disant ça, je m'étais redressé, attrapant ma veste et la passant rapidement pour pouvoir passer mes autres vêtements sans la faire souffrir de la vue de mes parties les plus intimes. Je ne suis pas pudique, sans être exhibitionniste pour autant. Je ne m'impose pas à la vue de ceux qui ne veulent pas me voir. Une fois rhabillé, je me redressais, sans même tanguer.

« Sachez ensuite qu'il n'était absolument pas dans mon attention de me retrouver dans cette tenue. »

Je m'essuyait le coin de la bouche sur un bout de manche sans trop m'en soucier, laissant mon regard rouge, mais sans animosité réelle sur la femme. Si j'étais dans un état d'agacement avancé, je n'en montrais rien, et ma voix était calme et posée. Après tout, je savais que je n'avais rien à gagner à m'emporter.

« Et enfin, je suis désolé que cette malencontreuse rencontre et mon état, ou mon comportement, qu'en sais-je, vous énerve à ce point, mais je doute qu'il soit nécessaire d'en arriver à ce genre d'extrémité. »

Me mettre une raclée... à moi ?! Même si je sentais effectivement une bonne puissance émaner d'elle, jamais, oh grand jamais, je ne laisserai quelqu'un m'humilier et rester impuni ! Donc j'aimerai autant que le jeu se calme dès maintenant, sans compter que je ne comprenais pas son énervement. S'agissait-il d'une femme haïssant les hommes ? Et puis certes, me trouver à vomir n'était pas très gracieux, mais que je sache, je n'étais pas en train de détruire les bois pour autant !

« Puisque vous semblez y tenir aussi, je me nomme Lenno Maiya. »

Par pure politesse, j'avais accepté de lui donner mon nom, mais je n'en avais aucune envie. Pas par honte, mais simplement parce que je trouvais cette femme abusive, et colérique sans raison.

Je vois... c'était bien le corps masculin qui la dégoûtait à ce point. Même si j'étais parfaitement au courant qu'il existait des femmes telles qu'elle, et des hommes qui ressentaient les choses réciproquement, j'avais toujours franchement du mal à comprendre comment ils en étaient arrivés là. La nature était si belle, pourquoi se haïr, ou être terrifié pour une différence ? Une complémentarité ? Après, j'avais déjà pu constater comme certains hommes pouvaient traiter les femmes, et inversement. Alors je me dis que si la nature nous a doté de beauté, elle nous a aussi doté de cruauté pour la détruire et apprendre à la chérir.

Malgré ça, je la trouvais pour le moins extrême dans ses propos, et me demandais pourquoi elle se trouvait ici. L'île était loin de n'être peuplée que de femmes, et même au couvert de la forêt, elle n'était de toute évidence pas à l'abri de rencontrer un représentant de mon genre.

Je n'avais même pas eu envie de répondre lorsqu'elle m'avait rétorqué qu'elle ne me croyait pas quant à ma tenue. Sur une île emplie de créatures en tous genres, je doute d'être le seul à être capable de se changer de forme, et dont les vêtements deviennent encombrant. J'avais retenu un soupire, et n'avais même pas tenté de justifier ma nature. Pour le moment, je n'en voyais pas la raison. À moins que cette personne ne se présente et justifie d'une autorité sur moi, je n'avais aucune raison de m'écraser. M'excuser, certes, on ne s'impose pas à la vue des gens, encore moins nus, mais je doute que l'île lui appartienne.

La femme semblait toujours autant énervée, et je n'aurais pas été surprit qu'elle m'attaque subitement. En fait, je me préparais même à l'éventualité. Je restais calme, droit, et sous forme humaine, mais je n'en étais pas moins sur mes gardes. Elle ne m'inspirait pas le moins du monde confiance. Pourtant, elle eu l'air de changer brusquement d'attitude en entendant mon nom, et je ne peux pas nier d'en avoir été surprit, mais moins qu'en entendant sa question.

Mon cerveau s'est stoppé l'espace d'un instant. D'où connaissait-elle ma sœur ? Pourquoi fréquentait-elle Tara ? Oui parce que, bien sûr, ce n'était pas ma sœur qui fréquentait une hystérique sexiste dans ce genre, donc c'était forcément cette femme qui s'approchait de ma sœur. Puis enfin je fis le rapprochement avec la personne dont Tara m'avait parlé l'autre jour. Cheveux argentés, yeux bleus... ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille, bien sûr. Il me semblait pourtant qu'elle l'avait décrit comme quelqu'un de calme, posé, qui s'était montré très gentille avec elle... En constatant la différence de comportement face à un homme, j'avais une petite voix dans ma tête qui me soufflait de me méfier... mais je décidais de l'ignorer. Je ne suis pas du genre à sauter aux conclusions sans preuves suffisantes.

« Oui, effectivement... »

Mon doute s'entendait dans ma voix, et je la scrutais. Ça ne pouvait qu'être elle, mais elle était très différente de la personne que je m'étais imaginé. Après tout, Tara m'avait décrit un ange, fort et doux, et je me retrouvais face à une hystérique possiblement sanguinaire... Heureux d'apprendre qu'elle ne voulait pas me rencontrer... ça n'arrange pas vraiment mon sentiment vis à vis d'elle et sa relation avec ma sœur. Connaissant Tara, elle a dû lui parler de moi. A-t-elle peur de mon jugement ? Quelque chose à se reprocher ?

« Tara m'a parlé de vous, et de votre rôle. »

Ce n'était pas tout à fait ce à quoi je m'attendais de la part d'un hidden, pourtant je m'étais un peu renseigné sur l'île, et avais entendu dire qu'ils étaient peu fréquentables, et qu'il valait mieux les fuir. La femme joua encore quelques notes de son instrument, visiblement pour essayer de se calmer, mais je n'avais pas l'impression qu'elle soit apaisé pour autant. Elle n'avait pas du tout l'air satisfaite de rencontrer le frère de son 'amie'.... En fait, au moindre de geste, au moindre de ses mots, je me sentais un peu plus suspicieux.

Lorsqu'elle me demanda ce que je faisais ici, une légère moue se traça sur mon visage, et mon regard rouge roula brièvement. Je n'avais pas envie de parler de ça de premier abord. De plus, il ne me semblait pas qu'il soit interdit aux élèves de s'aventurer dans la forêt. Du moins, je n'en ai rien vu dans le règlement.

« J'ai été... empoisonné... »

Puisque assurément, l'alcool était un poison pour mon organisme.

« Je pensais aller mieux, et qu'un bol d'air frais me ferait le plus grand bien, mais je me suis visiblement surestimé. »

Je n'ai aucun intérêt à être agressif dans la situation présente. Même si les choses devaient dégénérer, je ne pense pas faire physique le poids contre elle, et encore moins dans cet état, sans compter que je ne sais rien de ses capacités. J'ai cru comprendre qu'elle manipulait l'air aussi, mais sans plus. Alors quoi qu'il en soit, je restais poli et calme. Je ne m’aplatissait pas pour autant, mais je devais bien des excuses dans les règles, en faisant abstraction de la personne qu'elle était, et de la scène qui avait eu lieu. Je m'inclinais alors légèrement et poliment devant elle.

« Je vous prie de m'excuser de m'être imposé à votre vue, ce n'était pas mon attention, pas plus que de déranger la quiétude de la forêt. »

Je sais bien que Tara a tendance à parler de moi, alors ce n’est pas une grande surprise d’apprendre qu’elle l’a fait avec elle. Et puis je ne peux qu’être de son avis sur ce point là. Même ma sœur n’aurait plus été très fière de moi si elle m’avait vu dans cet état…

« Je m’en doute, et je n’en suis pas très fier pour tout dire. »

Pas besoin de mentir là-dessus. Je ne voyais pas de raison de le cacher, même si je connais bien quelques énergumènes, qui dans cette situation auraient réussi à se persuader que c’était normal, et que tout allait parfaitement bien. Comme si c’était normal et agréable comme état ou comme situation. Pourtant j’ai été un peu contrarié de sa remarque, et cela s’est montré à mon regard.

« Ma sœur et moi ne sommes pas dans ce monde depuis très longtemps, et il est très différent de celui où nous avons vécu. Il est difficile de nous baser sur nos connaissances passées pour affronter cette terre. »

Il m’est arrivé de boire dans notre monde, et mettant totalement le goût de côté, même si ça produisait le même effet –dont je ne raffole pas tant que ça en passant- les effets secondaire n’ont rien à voir ! Jamais je ne me suis retrouvé malade comme ça ! D’ailleurs, quel que soit l’élément déclencheur, je n’ai pas souvenir d’avoir été mal comme ça ! Blessé, oui, ça m’est arrivé, mais ça non, jamais ! Je notais bien sa proposition, même je n’avais pas l’impression qu’elle la faisait de bon cœur.

« Je vous remercie, mais je suis déjà presque guérit. Tout ce dont j’ai besoin c’est de bouger à nouveau et de reprendre un rythme normal, et j’ai juste fait l’erreur d’en faire un peu trop. »

Elle me réprima à nouveau, visiblement parfaitement insensible à mes excuses. Je ne pense pas que son opinion sur moi changera. En fait, je m’en serais totalement moqué en temps normal… si seulement ça n’avait pas été elle, la fameuse hidden avec laquelle Tara avait l’air de si bien s’entendre.

« Je comprends… je ferais en sorte que ça n’arrivere plus. »

D’ailleurs j’aimerai ne plus croiser cette hystérique. Je ne compte pas pour autant éviter la forêt, mais j’irai me promener à poil plus loin, histoire d’avoir la paix. Je préfère largement être libéré de tout vêtement quand je me retrouve dans la nature.

À ce niveau-là, j’espérais assez que ça en soit finit. J’avais envie de m’en aller, de retrouver ma tranquillité, et surtout m’éloigner de ses mauvaises ondes. Sauf que je ne m’attendais pas trop à ce qu’elle me parle de ma sœur comme ça. Oh ! C’était quoi ça ? Elle essayait de m’amadouer pour récupérer des informations ? Ou alors elle n’avait pas conscience de la façon dont je risquais de prendre les choses ? Ça sentait l’embrouille à plein nez. J’essayais d’ignorer la mélodie qu’elle s’était mise à jouer. Je n’avais pas envie de me ramollir. Je voulais rester sur mes gardes, parce que cette femme, je ne la sentais pas. Pas du tout même !

« Ma sœur m’a parlé de votre rôle au sein de l’école. Elle m’a assuré qu’elle était persuadé que vous étiez forte, tant physiquement que moralement. Elle m’a dit que vous étiez douce et de très bonne compagnie. Elle a omis de préciser de que vous semblez haïr la gente masculine, à moins qu’elle n’ait pas eu le temps de le constater… »

Autant dire que moi aussi, je suis déçu de constater qui elle était en réalité. Je doute que cette femme ait essayé de tromper ma sœur, ou que cela ait fonctionné, ce qui veut dire qu’elle a été sincère dans son comportement avec Tara. À voir la différence avec moi, je n’aime pas ça du tout.

« Je pourrais dire que je suis curieux sur ce que vous savez sur moi, mais ce serait un mensonge. Je connais parfaitement ma sœur, j’imagine assez bien ce qu’elle pourrait dire à une personne avec qui elle se sent relativement à l’aise, et je sais déjà que vous ne le comprenez pas. Ce qui n’est pas si étonnant après m’avoir vu comme ça, cela dit. Cependant, vous semblez simplement mépriser le fait que j’ai un lien avec Tara. »

Non, je ne mets pas les pieds dans le plat, je tâte un peu le terrain avant de me fixer sur mes intuitions, en espérant de tout cœur qu’elles soient fausses.

J'imagine que cette femme aurait pu d'autant plus me critiquer et me mépriser si j'avais simplement dit que j'étais incapable de définir ce qui était nocif pour moi dans ce monde. C'est pour cela que j'avais choisi mes mots, et surtout cité Tara. Tout de suite, elle avait eu l'air plus attentive, et plus raisonnable. Enfin, c'est pas pour autant qu'on semblait être sur la même longueur d'onde.

« J'entendais plutôt de ne plus vous incommoder de ma vue. Je ne doute que pas que vu votre rôle, et ce que je peux sentir de votre aura, vous soyez tout à fait capable de sentir ma présence. »

Je ne me considère pas vraiment comme quelqu'un de stupide. Loin d'être un génie pour autant, je savais quand même remarquer les choses évidentes, et mon flaire me trompait rarement. Par exemple, je savais qu'elle n'était pas aussi calme qu'elle l'affichait, et je savais qu'elle scrutait aussi mes intentions. Probablement à cause de ses intuitions que je ne voulais pas voir se confirmer, et qu'elle préférerai sans doute aussi que je ne comprenne pas tout de suite.

J'imagine que Tara ne voulait pas que j'ai une mauvaise première impression de sa nouvelle rencontre. Elle ne m'avait donc pas parlé de son aversion pour les hommes, en espérant que je ne la rencontre pas de sitôt, et attendant de voir comment les choses allaient se dérouler. Manque de chance, j'étais tombé sur elle au pire moment. Quoi que si je m'étais retrouvé à copuler avec un autre homme en pleine forêt, je me demande quelle aurait été sa réaction... probablement que je n'aurais même pas eu l'occasion de la voir avant de subir sa colère. Mais au moins, je suis d'accord avec elle sur un sujet.

« Je comprends, je n'aime pas non plus qu'on parle à ma place. »

Bien sûr, elle ne me précisa rien de son histoire, et il ne me vint pas à l'esprit de lui poser la question. Je n'en vois pas le besoin pour le moment, et j'en apprends bien assez sur elle comme ça.
Pour ce qui est de sa haine envers les hommes, je sais que l'estime de soi, tout comme l'estime des autres ne tient qu'à un fil, et qu'il y a de nombreuses façon de le couper, alors oui, je comprends qu'on puisse en venir à haïr son prochain, ou seulement ceux du sexe opposé. Mais je ne cautionne pas. Après, ce n'est pas à moi de la juger.

Je vois... Une inconnue débarquait dans nos vies, s'intéressait à ma sœur, et venait me dire que MOI, je pourrais lui faire du mal, la mettre en danger, me servir d'elle, ou que sais-je encore, tout ça à cause de mon sexe. Si c'était le cas, ça ferait longtemps que je me serais émasculé moi-même. Je ne laisserai rien ni personne blesser Tara, même si ça devait être moi. Alors oui, j'hallucine que cette hystérique vienne me dire une chose pareille, mais je ne vois même pas l'intérêt de lui répondre. Un léger rictus vint se former au coin de ma bouche. C'est hallucinant comme les gens ont du mal à me cerner, visiblement... Je pense pourtant que c'est la première chose que l'on peut comprendre à mon sujet.

J'avoue que cette fois, je ne comprends pas ce qui peut pousser quelqu'un à douter d'un amour aussi sincère que celui qui nous lie Tara et moi. À vrai dire, ça me paraît tellement logique d'être prêt à tout donner pour ma sœur, et je sais qu'elle ressent la même chose, que ça me paraît même étrange qu'une fratrie puisse fonctionner autrement.

La hidden décida, sans me demander mon avis, qu'il était temps pour moi de rentrer. Par chance, j'avais aussi sacrément envie de retrouver ma chambre, mon lit, et pourquoi pas manger un peu, si mon estomac me le permettait.

« Je ne vais pas vous importuner plus longtemps. Il se fait tard de toute façon. »

J'avais donc commencé à m'avancer en direction de l'école. Bien sûr, je n'ai besoin de personne pour me guider ou me raccompagner, mais j'imagine que ça la rassure. Qui sait, si jamais ma nature d'homme me poussait au vice, et me faisait agresser la première femme que je croisais... Néanmoins, je ne m'attendais pas du tout à cette question, qui me prit au dépourvu, et me fit stopper net, le regard dans le vide. Ah... non, si elle me lançait sur le sujet...

« Tara... a toujours été la plus belle chose qui existe... »

Et merde ! Mon visage toujours froid et fermé, mon regard agressif, tout ça s'était changé en un air nostalgique, doux. Qu'est ce que j'aimais penser à tous ces moments passés tous les deux... Et voilà qu'un flot de parole s'échappait sans que je n'en ai le moindre contrôle.

« Elle était un peu maladroite, mais elle a toujours été très obstinée. Presque têtue je dirais. Elle a apprit tellement vite... Elle est douée pour ça. Elle a bien grandit, et elle a même apprit à changer de forme étonnamment tôt pour notre race. C'était un véritable plaisir de lui enseigner tout ce que je savais, puis de progresser à ses côtés... »

Ah... le bon temps, alors que nous étions tous les deux de jeunes renards innocents et pleins de vie.

« Elle préférait rester sous sa vraie forme, et courir dans les bois... Même dans les premiers jours de sa vie, alors qu'elle n'était qu'une toute petite boule de poils hirsutes qui ouvrait à peine les yeux, elle ne demandait qu'à partir vadrouiller. Je ne pouvais pas m'éloigner d'elle parce qu'elle tentait de me suivre partout... Elle était toute petite, elle tenait dans ma main... »

Un large sourire s'était dessiné sur mon visage... Tara bébé était vraiment trop mignonne... et elle était devenue une femme sublime, une kitsune élégante et merveilleuse...

« Quand elle était toute jeune, elle adorait faire la sieste au soleil, puis elle allait se rouler dans l'herbe fraîche... j'ai eu la peur de ma vie la fois où elle n'a pas fait attention à où elle allait, et s'est mise à dévaler une pente incontrôlablement... et puis elle s'est rattrapée de justesse à une branche, pour se hisser à nouveau jusque en haut... elle était toute fière de s'en être sortie toute seule... »

J'en ris maintenant, mais j'ai bien cru que mon cœur allait s'arrêter à ce moment-là... j'étais trop loin pour intervenir. C'est ce jour-là que j'ai comprit qu'elle était assez grande pour s'éloigner un peu de la maison, et commencer à apprendre la vie et ses dangers.

« Elle est vite devenue agile, solide, capable de me suivre partout, mais surtout, très curieuse. Elle voulait tout savoir, tout voir. J'avais peur de la laisser explorer seule, alors je la suivait tout le temps, quitte à me cacher lorsqu'elle commençait ses premières promenades en solitaire... la forêt où nous avons grandit était magnifique, mais loin d'être paisible. Je n'aurais jamais supporté qu'il lui arrive quoi que ce soit... »

Quel malheur d'être aussi bavard quand il s'agit de Tara... pas que j'ai envie que n'importe qui l'approche, mais je voudrais crier sur les toits à quel point je suis heureux d'avoir une sœur aussi merveilleuse !

« Je suis absolument incapable de lui refuser quoi que ce soit... à moins que ça ne soit dangereux pour elle bien sûr. »

Mon sourire s'estompa un peu, bien que restant présent sur un coin de mes lèvres. Mon regard, lui, redevint sérieux et se tourna vers la hidden.

« Tara est une personne formidable, et ça ne m'étonne pas plus que ça que vous ayez de l'intérêt pour elle. »

J'étais pressé de quitter la forêt, et surtout de m'éloigner de cette femme, mais forcément, si on me proposait de me plonger dans mes souvenirs, et exprimer mon amour pour ma sœur, je pouvais difficilement m'arrêter. En fait, j'aurais pu passer la nuit à parler de Tara sans aucun problème. Quand elle a émit l'hypothèse que ma sœur se mette en danger, j'avoue que j'en ai été amusé.

« Je vous rassure, Tara est très intelligente, elle sait parfaitement ce qu'elle fait, et est très bien capable de se débrouiller seule. »

Ce qui ne m'empêche pas de toujours garder un œil sur elle. J'ai confiance en elle, mais pas en ceux qui l'entourent. Je crois ensuite qu'elle avait mal prit ma dernière phrase. Je n'avais mis aucune menace dans ma déclaration. Je souhaitais simplement lui confirmer que j'avais comprit ses intentions. Il n'y avait rien de mauvais dans les miennes. Seulement, qu'elle le prenne aussi mal m'avait à nouveau agacé. Bien sûr, je suis un homme, alors je ne veux que jouer des muscles en écrasant les autres. Que les réflexions de cette femme peuvent être simplistes ! Je me demande bien à quel point les hommes qu'elle a pu rencontrer ont été stupide pour lui donner cette vision de notre genre. Et si tout ça était inné chez elle, et bien... sincèrement, je doute qu'il y ait le moindre espoir pour cette créature, et l'idée que je puisse à nouveau entendre parler d'elle me fatiguait d'avance.

« Oui, j'imagine bien que votre intérêt pour elle ne se porte pas sur ce front là. Pas volontairement du moins. »

Puisque c'était ce qu'elle cherchait depuis le début, voilà, j'allais lui rendre sa méfiance, et son mépris face au fait d'approcher de Tara. Pendant que nous marchions toujours droit vers l'orée des bois, la hidden trébucha, se reprenant de justesse. Je ne l'avais pas manqué bien sûr, mais je n'avais même pas tourné les yeux vers elle. Je ne me moquais pas, j'étais juste fatigué de tout ça. Tout ce que cela confirmait, c'était qu'elle avait elle aussi ses faiblesses qu'elle s'appliquait à cacher en apparaissant comme impitoyable. Franchement, je me demandais si sa haine envers les hommes ne venait pas d'un gros complexe de sa part et d'un manque de confiance en elle. La plupart des hommes ne pouvaient rien lui faire, alors pourquoi sa colère sonnait comme une peur face à notre soi disant ''nature profonde'' ?

Bien sûr, elle était soulagée que je quitte bientôt la forêt, et je suis persuadé qu'elle espérait tout autant que moi de ne pas me croiser de sitôt. Seulement, alors que je comptais simplement partir après un au-revoir polis et bref, voilà que cette fois, elle passait aux menaces. Là, c'était vraiment de trop. Je n'ai pas besoin qu'on me dicte ma conduite, et encore moins quand il s'agissait de mes rapports avec ma sœur, et le fait qu'elle se le permette une nouvelle fois m'agaçait particulièrement.

« Tara ne se gêne pas pour venir me voir quand elle a quelque chose à me reprocher. Nous sommes très bien capable de communiquer sans aide extérieur. »

Juste arrivé à la lisière des bois, je me stoppais, et me tournais vers elle, le visage fermé.

« Avant de partir, je préfère dire les choses sans détour. Je sais que vous ne me voyiez que comme un homme, et que pour vous nous ne sommes doté d'aucune qualité. Probablement que vous pensez que mes hormones font de moi une bête plus que ma nature ne le fait, et que je suis par la même occasion incapable du moindre jugement. »

Oui, je suis un animal. Comme elle, comme Tara, et comme tout ce qui est plus ou moins vivant sans être végétal.

« J'imagine que vous ravalez votre mépris à cause de mon lien avec Tara. Que vous craignez de la blesser si vous vous débarrassiez de moi, ou que mon influence sur elle la fasse s'éloigner de vous. »

Je pourrais. Sans la moindre difficulté. Si j'allais voir Tara, là, maintenant, et que je lui disais quelques mots bien choisis, je sais que ma sœur me suivrait dans la seconde.

« Je n’essaierai pas de changer votre opinion sur moi. En fait, je me moque totalement de ce que vous pouvez bien en penser. Il y a cependant certaines choses qui méritent d'être éclairées. »

Pour le bien de Tara uniquement.

« Tara est la personne qui a donné un sens à ma vie. Elle est mon rayon de soleil, ma bouffé d'air, ma lueur d'espoir. Elle est la plus belle chose qui me soit arrivé, la plus belle chose qui existe dans cet univers ou un autre. Je ne laisserai pas qui que ce soit lui faire du mal. »

Ce n'est pas une menace, mais un constat. Que ce soit elle un autre, ou le monde entier qui s'en prendrait à elle, je ne laisserai rien lui arriver, peut importe ce que je devrai faire pour cela.

« L'amour est une des plus belles choses qui existent, je n'essayerai certainement pas de l'en priver. Si elle ne pouvait pas s'en abreuver, elle finirait par dépérir, et la vie perdrait tout son sens. »

Pourquoi vivrait-on si ce n'était pour ressentir de l'amour ? Ce serait stupide de survivre et souffrir uniquement dans l'optique de mourir un jour.

« Si je m'éloignais de Tara, ça la ferait souffrir, alors je ne serais jamais bien loin d'elle. L'éloigner d'une personne qu'elle aimerait la ferait souffrir, alors je ne tenterais pas de la garder pour moi seul. Mais si l'espace d'un instant, j'aurais seulement l'impression que cet amour pourrait la blesser, je n'aurais aucun scrupule à écarter tous ces dangers potentiels de quelques façons qu'il soit, et faire en sorte que plus jamais cela ne revienne à sa mémoire. Jamais Tara n'aura à souffrir du souvenir d'une blessure. »

Elle ne peut pas m'éloigner de Tara, mais je ne peux pas l'éloigner non plus. Il n'y a pas plus de menace là dedans qu'avant. C'est une mise en garde, et ma voix était restée calme, posée. Quand bien même je n'apprécie vraiment pas cette femme, je ne suis pas du genre à me laisser contrôler par mes émotions.

« Sur ce, je vous souhaite une bonne soirée, et une bonne continuation pour votre dur labeur. »