Etudier. Encore et encore. Lawrence n'avait aucun mal avec cela, d'ailleurs, apprendre lui avait manqué à un moment, là-bas. Il y avait tant d'ouvrages à lire dans cette bibliothèque, si peu de temps pour pouvoir tous les examiner et les consulter. Vaguement, il se demanda si le bibliothécaire lui-même les connaissait tous. Bien qu'il n'irait pas lui poser la question. L'homme semblait toujours très occupé et dispersé dans le même temps. Il préférait l'apprécier de loin et prendre l'aide de ses assistants.

En cette matinée semblant presque neigeuse. Presque parce qu'elle ne tombait pas mais pensait à le faire, il avait pris des dictionnaires sur le jazz ainsi que des ouvrages sur les plantes. Il ne perdait pas de vu qu'il devait en savoir toujours plus sur ses deux matières préférés même si cela lui demandait toujours plus de temps et d'énergie. Il en trouvait. Il en trouvait même pour voir Maksimilian. Heureusement que leur chambre était à côté l'une de l'autre.

-Hum... Donc la partition est...

Le jazz avait vraiment de drôles de sonorités. Toujours ample et joyeux avec une vaste étendue remplie de mélancolie en arrière fond. Cette musique aurait pu me correspondre mais ma mélancolie était bien plus prononcée. Bien plus dure aussi car vieille, très vieille. Et puis, dans mes chants, j'essayai de plus penser à l'avenir qu'au présent, je ne voulais pas rester à cela. Même si je ne pouvais complètement m'en détacher.

Lawrence referma un des dictionnaires après un soupir, s'étira soigneusement alors qu'il pleuvait finalement. Son vêtement elfique bougeait avec lui comme une seconde peau de soie sauvage bleu pâle et bleu nuit étoilé. C'était vraiment calme comme matinée... Qu'est-ce qui allait bien pouvoir lui tomber dessus alors qu'il fredonnait en reprenant un livre sur les origines du jazz ?

S'il avait pensé que le temps allait lui attirer de la compagnie et éventuellement des petits ennuis, il ne s'était pas trompé. Lawrence sentit la personne bien avant de la voir mais sur le moment, plongé dans sa lecture et sa volonté de mieux comprendre le jazz, il n'y avait pas réellement prêté attention. Cependant, quand il fut heurté, il ne fut plus question d'ignorer la présence, surtout qu'il en avait perdu son livre sur le sol. Il espérait que cela ne ferait pas venir un responsable.

Alors qu'il se levait, il vit la silhouette fine et gracile d'une jeune femme blonde récupéra son ouvrage à sa place. Non sans une note de sensualité qu'il ne pouvait que détecter puisque Lawrence était toujours sensuel malgré lui. Il espérait que cela ne serait pas un problème dans les prochaines minutes car il ne prévoyait pas du tout de draguer. En plus de ne pas savoir le faire et de ne pas en avoir envie, tout simplement. Il eut un léger sentiment de malaise.

Reprenant son livre, l'elfe s'inclina tout de même poliment et se redressa, un sourire affable sur les lèvres.

-Bien le bonjour, mademoiselle. Je vous en prie, ce n'est rien de grave. Vous êtes-vous fait mal ?

L'on ne savait jamais et il préférait demander. Qu'on ne puisse dire qu'il aurait fait attention aux détails. Vérifiant l'état du livre d'un rapide coup d’œil, il revint à sa vis-à-vis qui lui faisait l'un de ces sourires. Il s'en sentit un peu gêné, rangeant l'une de ses mèches tressées derrière une oreille en pointe.

-Oui, je suis en spécialisation musique. Je chante et je joue du violon. Oh, toutes mes excuses, je fais tout à l'envers. Lawrence de Sainte-Croix, enchanté. Puis connaître votre nom ?

Parfaitement poli, j'invitai la jeune demoiselle à s'asseoir tout en me souvenant que cela pourrait lui amenait quelques ennuis. Je les avais semés comme souvent mais mes groupies allaient finir par me trouver, je restai plutôt prévisible dans mes déplacements. Si je n'étais pas en cours ou avec Maksimilian, j'étais forcément à la bibliothèque. Sauf si je travaillais à la serre. Enfin, pour le moment, cela devrait aller. Je tirai la chaise pour elle, m'installai ensuite.

-Je ne pense pas déjà vous avoir croisée, j'en déduis que vous êtes nouvelle.

Une telle perfection physique se remarquait à tous les coups. Lawrence était rassuré de ne pas être la seule belle personne de l'établissement. Maintenant, si la jeune femme récupérait ses fans les plus acharnés, ce serait bien.

-Bienvenue parmi nous quoiqu'il en soit. J'espère que l'école saura vous apporter tout ce dont vous aurez besoin pour votre épanouissement.

Ce qu'il trouvait étrange d'ailleurs. Lawrence connaissait suffisamment les lieux pour savoir que l'espace entre la table et les rayons était suffisant pour laisser passer les chariots servant à transporter les livres qui avaient été empruntés. Enfin, si la demoiselle était maladroite, c'était encore tout à fait possible et l'elfe ne voyait pas de raison de douter de ses dires malgré son étrange impression.

Après qu'ils se soient assis, elle lui confirma bien qu'elle venait à peine de mettre les pieds dans l'établissement.

-Il se pourrait alors que vous ayez encore du mal avec les lieux. L'école est très grande et il y a beaucoup à voir. Même si bien sûr, il y a certains endroits à éviter comme le cimetière. Son habitant n'aime pas les visites impromptues de ce que je sais.

Sword était un Dragon assez amusant mais le Chanteciel n'oubliait pas que les créatures de cette espèce désapprouvaient que l'on mette les pieds dans leurs territoires sans prévenir. Enfin, pour en revenir à la jeune femme blonde, elle voulait parler de lui. Lawrence commençait à se dire que ça allait mal tourner. Devait-il dire qu'il était en couple ? Était-ce seulement vrai puisqu'il n'avait pas encore parlé de ce sujet avec l'autre intéressé ? Il ne voulait pas mentir, ce n'était même pas dans sa nature. Il rit un peu.

-Non, pas spécialiste mais spécialisation. Je n'oserai dire que j'en sais autant en musique que mon enseignant ou que Dame Astrapi.

Après, passionné, eh bien, il l'était à sa façon, mais surtout...

-Le professeur de musique, monsieur Ishirama Shintarô, est très strict. Et comme il me considère comme l'un des meilleurs élèves, il attend beaucoup de moi. Surtout que je pense commencer à faire de la scène donc, il me pousse encore plus.

J'avais vraiment cette sensation d'être une proie maintenant et je me retenais donc de me tortiller sur mon siège parce que cela ne réglerait rien à la situation. Inspirant puis expirant à fond, je souhaitais me dépêtrer de cela avant que quelqu'un qui me connaissait bien n'arrive et défende mon honneur inutilement. Elle était nouvelle, elle ne pouvait donc pas savoir que je ne voulais certainement pas de ce qu'elle faisait là. Je lui reconnaissais sa beauté mais au-delà de cela, je n'étais pas quelqu'un de superficiel qui se faisait attirer par des mots doux. Beaucoup en savait quelque chose dans l'école.

-Et vous, dans quelle section ou spécialisation êtes-vous ?

Lawrence voulait éloigner l'esprit de la jeune femme de sa tentative de séduction avortée avant même d'avoir pu réellement exister, et cela avoir le plus de douceur et de tact possible.

-Que pensez-vous de l'école et des cours ?

Et tout cela sans perdre son sourire affable.

Quoi ? Non, pas une nouvelle groupie, s'il vous plait ! Lawrence savait qu'il ne devait pas s'affoler mais il prenait l'idée comme une menace plutôt que comme quelque chose de génial. Par la suite, elle prit un ton assez ambigu, de sorte qu'il savait plus réellement ce qu'elle pensait de la situation. Il se retenait surtout de ne pas regarder les alentours pour voir s'il ne pouvait s'évader de tout cela. Adieu sa matinée tranquille à étudier semblait-il.

Et là, il eut envie de se traiter d'imbécile. Lui faire visiter l'école ? Et les coins sombres avec aussi ? Le Chanteciel essayait de trouver une parade à la demande de la jeune femme quand une voix déjà connue résonna au-dessus d'eux. Il tourna la tête pour voir une autre tête blonde, fut surpris de ne pas avoir remarqué plus tôt la présence du professeur de matières artistiques. L'homme se moquait ouvertement, ce que l'elfe pouvait comprendre, il devait avoir l'air ridicule dans sa façon de repousser la demoiselle. Après tout, celle-ci ne comprenait pas.

Par contre, il ne s'était pas attendu à ce que l'homme semble plus ou moins prendre sa défense.

-Bonjour, monsieur Néri...

J'étais un peu assommé par ce qu'il avait dit à cette nouvelle mais le pire fut quand même la mention que j'avais des groupies tout autour... Non, je ne pouvais même pas me le répéter mentalement. C'était tellement grossier. Et puis mon mec... Non, nous n'étions pas... A moins que si... Mince à la fin, nous n'en avions pas parlé ! Il fallait sérieusement que cette conversation se fasse que je sache enfin sur quel pied danser. Observant ce professeur qui passait difficilement pour l'un d'eux, même à côté de monsieur Drade, à présent assis sur la table, j'esquissai un sourire gêné. Qu'allait-il encore faire subir à Maksimilian ?

-Si par larbin, vous parlez de Maksimilian, je ne saurais vous dire où il est. J'ai semé quelques personnes avant de finir ici mais je ne l'ai pas croisé dans les couloirs.

Cependant, il suffisait de parler du loup pour qu'il montre la queue. Sauf que j'attendais plus de voir la réaction de la jeune femme plutôt que celle du brun. Que je connaissais presque par avance, il se méfiait toujours énormément des gens qui m'approchait. Et avec monsieur Néri sur la table...

-Bonjour, Maksimilian... Je te présente Aleksandryna, cette demoiselle est nouvelle dans l'établissement et... Et voilà. Mademoiselle, je vous présente donc le professeur d'art, monsieur Saël Néri et mon meilleur ami, Maksimilian Iasneïev qui est l'un de ses élèves.

Lawrence essayait d'aménager la paix tout en sachant que sa tentative de faire la trêve ne tiendrait pas. Il avait juste envie de se lever et de s'en aller, et vite. Un peu crispé, il attendait le pire. Il rangea rapidement une mèche, fit une pile avec les livres qu'il avait réuni plus tôt. Courage, fuyons, c'était la sonnette d'alarme dans son esprit. Les cris et les bagarres, très peu pour lui. Il essayait quand même de ne pas avoir l'air trop anxieux, mais il était certain que personne n'était dupe.

Lawrence perçut très facilement la colère de la jeune fille et cela ne lui donnait qu'une envie : fuir. Sauf qu'il serait quand même bon qu'un jour, il fasse l'effort d'affronter les situations de conflits. Mais pas aujourd'hui, hein, il n'avait cherché que le calme et la tranquillité. Il l'avait connu plus facilement ces derniers temps par il ne savait quel moyen miracle. Semer ses groupies n'avait jamais été plus facile que ces derniers temps et s'il savait grâce à quoi, il en aurait fait une chanson.

Enfin, de colérique, Aleksandryna devint gênée et pour cause, le professeur Néri venait de lui faire comprendre que l'elfe n'était pas libre. Ou en tout cas, qu'il avait déjà quelqu'un sur les bras. Lawrence commençait à en avoir un peu assez de ne pouvoir mettre des mots sur sa relation avec l'ange déchu. Les complications, ça n'était toujours pas son truc préféré et qu'on lui pardonne, mais ce serait bon de pouvoir "merde" à toutes ces bêtises qui mettaient un poids sur ses épaules pas très fortes.

-C'est un professeur, mademoiselle, je doute que l'appeler ainsi par son prénom sans autorisation soit une bonne chose. Même s'il est aussi jeune que nous.

Quant à l'arrivée de Maksimilian, elle était aussi providentielle que celle de l'enseignant qu'il trouverait un moyen de remercier plus tard. Car cela avait été tellement gênant... Trop, il avait l'impression qu'il pourrait rougir encore. Enfin, quoiqu'il en était, Maksimilian se proposait d'aider la jeune femme lui aussi et l'elfe ne put que sauter sur l'occasion.

-Aleksandryna voudrait visiter l'école en compagnie de personnes qui la connaissent. Nous pourrions lui montrer les lieux tous les deux.

Mission, ne plus rester seul avec elle. Et dire que je n'avais aucun grief à son encontre, c'était juste ce qu'elle préparait dans son esprit qui m'effrayait un peu. Cependant, la chose aurait pu être simplement passagère, ce qui n'empêchait pas qu'elle avait voulu prévoir de faire avec moi... Je ne voulais même pas mettre de mot sur les trucs à faire. Et puis comme d'habitude, le professeur Néri et mon meilleur ami se mirent à se "disputer". Mais cela sonnait tellement bon enfant que j'avais plus envie de sourire qu'autre chose. Je me retins uniquement pour ne pas froisser Maksimilian.

-Allons, allons, il est normal que les professeurs puissent entrer dans les chambres des élèves. Imagine que l'un d'entre nous fassent un malaise, il faut bien qu'ils puissent nous aider. Non ?

Lawrence disait cela de façon parfaitement normal et innocente, il aurait même été surpris qu'un enseignant ne puisse aller et venir dans les dortoirs. Ce qui l'aurait contrarié, ça aurait été un vol mais cela ne semblait pas du tout être le genre de monsieur Néri. Il savait être agaçant, insensible, brusque et même violent, cependant, le Chanteciel avait l'impression que c'était surtout une sorte de défense et que l'homme pouvait être gentil pour peu qu'on le respecte vraiment. Ce qui était son cas. Rien que l'aura du Néphilim faisait qu'il le respecter.

Même s'il tenterait toujours aussi de défendre Maksimilian des entourloupes que pouvait préparer le blond. Après tout, quand il était lancé, il avait plutôt tendance à s'acharner. Ou en tout cas, c'était l'impression qu'il avait. Il rougit de gêne quand le sujet de ses groupies revinrent sur le tapis.

-Je n'ai aucun mal à les perdre ces temps-ci mais je ne suis pas très surpris qu'ils te poursuivent puisqu'ils ne peuvent me mettre la main dessus. Je suis navré pour ces désagréments.

Je posai ma main sur celle de mon ami, tenant à ce qu'il se calme. Il s'énervait bien trop à cause de son enseignant, c'était dangereux pour sa tension. Pour se refaire tout doux en parlant à la jeune fille. Il donnait presque l'impression d'être bipolaire.

-Au revoir monsieur Néri, à bientôt. Prenez soin de vous.

Et je revins à Aleksandryna.

-Veuillez excuser mon ami. Dès qu'il s'agit de monsieur Néri, il ne sait pas garder son sang-froid. Mais ils ne s'entendent pas très bien.

Il sentait qu'il allait prendre un bon commentaire de la part de l'ange déchu pour cette réplique, si bien qu'il s'empressa d'ajouter.

-Je me demande ce qu'il a pu te laisser.

Lawrence retint un sourire. Ils étaient deux contre lui, incapables de voir que même s'il aimait à être irritant, le professeur Néri était aussi quelqu'un de bien. Il savait que ce n'était pas évident, l'homme avait peaufiner son manège d'une main de maître mais lui, il le voyait bien. Rien que par le fait que le Néphilim soit parti en le saluant voulait tout dire. Le blond ne cherchait pas à ce qu'on l'aime mais à ce que l'on le respecte. Et l'elfe le respectait. Parce que ce n'était pas parce que l'on ne comprenait pas tous les agissements d'une personne qu'il fallait la croire monstrueuse.

-Je comprends bien que je ne saurais vous faire changer d'avis à l'un comme à l'autre mais tout de même, tentez parfois de voir au-delà des apparences. Ce n'est pas parce que nous sommes juste entre créatures que nous abaissons nos armures et laissons voir nos âmes.

Et la polémique sur le pauvre absent continua. Oui, les absents avaient torts... Lawrence les écoutait à peine, se demandant s'il empruntaient ses ouvrages ou non. Il s'excusa auprès de la paire et alla au bureau des prêts après avoir rangé deux des livres qu'il avait utilisé. Il revint auprès d'eux aussi vite que possible, entendit la fin de la question de Maksimilian qui pouvait en effet se poser. Le brun se montrait aussi sociable que curieux, à son grand plaisir. Cela rassurait le Chanteciel de ne pas le voir harceler par ses groupies, le brun en bavait pas mal tout de même à le côtoyer. Alors s'il pouvait avoir d'autres amis... Même une jeune fille qui l'avait dragué.

-Nous pouvons nous lancer dans la visite guidée. Je range mes livres et c'est bon pour moi.

Même si elle était un peu manipulatrice... Et un peu... vaniteuse ? Je ne savais pas exactement comment traiter avec ce genre de personnes, je ne pouvais que souhaiter qu'elle ne nous ferait aucun mal même si j'avais l'impression qu'elle était déjà plus ou moins en train de nous utiliser pour son profit personnel. Bien que je ne voyais pas où lui serait l'utilité d'être vue avec nous. Elle allait plutôt avoir des ennuis avec mes groupies elle aussi... Ou peut-être que c'était justement cela qu'elle cherchait. Mais si c'était le cas, c'était tordu.

-Commençons nous par lui montrer les lieux à éviter comme le cimetière ? Ou les lieux les plus beaux ?

Bien que la possible pluie allait nous garder à l'intérieur, très certainement. Je mis ma sacoche sur mon épaule, rangeai soigneusement ma chaise avant d'aider Aleksandryna à se lever. En prenant bien garde de ne pas la toucher, mon sourire aimable et serein toujours bien en place.

-Tu sauras bientôt beaucoup d'Esperanza, Aleks.

Et Lawrence se dirigea vers la sortie, pas trop vite pour que les deux autres puissent être à son niveau. Du coin de l'oeil, il vit de la glace sur le mur et des groupies, ce qui lui fit presser le pas. Oui, monsieur Néri savait être gentil.