J'avais attendu une semaine entière avant de recommencer un nouveau tour. Il fallait dire que la réaction de l'élève m'avait plutôt refroidi mais refroidi dans le sens "peut-être que vraiment personne n'aime les blagues par ici". Pourtant, je n'avais vraiment pas dans l'idée d'humilier qui que ce soit, c'était juste pour rire et faire rire la personne qui était ma pauvre victime. Le pire c'est que j'adorerai qu'on m'en fasse. Mais il semblait qu'ici, tout le monde se prenne beaucoup -voire trop- au sérieux. Et dépité par ce constat, j'avais pris mon temps, rangeant déjà quelques pans de la bibliothèque, oubliant de dormir ce faisant. Mais je n'avais cessé de manger du sirop d'érable depuis le début de mon inventaire.

Ayant décidé de revoir un peu la lumière du jour -je gardais la bibliothèque dans le noir, ça donnait une ambiance gothique trop bien-, je marchais un peu sans but dans les couloirs, il y avait tellement de possibilités... J'osai faire finalement deux ou trois blagues et soulagé qu'elles soient mieux accueilli que par monsieur Bleu, je me détendis et choisis de faire un gros coup... à un collègue. Avec un peu de chance, eux, ils auraient le sens de l'humour les professeurs. Et puis les œillets, c'était plus beau en hiver et j'adorais les edelweiss au printemps.

Je m'arrêtai au hasard dans une salle qui se révéla être la salle d'histoire. Je penchai la tête à l'intérieur pour vérifier que la voie était libre et j'entrai en réfléchissant à ce que je pourrais faire. Hum, les tables n'étaient pas du tout bien perpendiculaires au sol... Je furetai pour voir si je trouvais quelque chose d'intéressant puis une idée saugrenue me vint. Je dus faire un rapide aller-retour en ville et comme il n'y avait toujours personne, je passai à l'action. Je ravageai la salle comme s'il y avait eu une bagarre, je mis du sang -acheté au marché noir- un peu partout et je me plaçai contre le bureau, du sang sur le corps, un couteau ensanglanté près de moi. Et je fis le mort.

Je ne savais pas du tout comment cette plaisanterie serait prise mais au moins, sa préparation aura eu le mérite de m'amuser. Tout en attendant, je me mis à réfléchir sur la classification des auteurs en Y et sur le fait que j'avais hâte de faire de la luge dans les couloirs cet hiver. Comment ça, on ne faisait pas de luge à l'intérieur ? Oh, je trouverai forcément une façon de faire.

J'aurais bien aimé pouvoir dessiner dans les nuages, ça me manquait. Peut-être que ça ferait quelque chose d'amusant pour les gens de l'île, tiens, ça n'avait rien d'une blague, ce serait juste un petit divertissement agréable et ludique. C'était à tenter, vraiment. Peut-être que ça ferait faire une moue à monsieur Bleu. J'aimais bien monsieur Bleu malgré son caractère colérique... Et vaniteux. Je me perdais énormément dans mes pensées en attendant que quelqu'un remarque mon petit manège. Le professeur d'histoire ne faisait pas du tout cours ce jour là ? Ce serait dommage, je m'étais donné tellement de mal pour cette mise en scène.

Puis j'attendis des pas brusques dans le couloir, comme si quelqu'un se dépêchait. Ça ne devait pas être pour moi, j'avais fait en sorte que l'odeur de sang ne soit pas trop volatile pour ne pas faire paniquer ou exciter des élèves. Pourtant, on ouvrit la porte violemment et on la referma tout aussi sèchement. J'eus du mal à tenir mon rôle, du coup, mais il le fallait. J'avais tellement envie de sourire et de me lever en faisant "surprise, je suis un zombie !" Mais je me retins, j'avais envie de voir ce qu'allait faire l'arrivant clairement agité.

Mais il semblait que mon stratagème ne fasse pas longtemps artifice, bien que l'homme -eh bien oui, à son rire nerveux, je pouvais dire que c'était un homme- avait été touché par son manège. J'ouvris finalement les yeux avec un sourire en me demandant quand est-ce que la neige était tombée. Ah non, c'était les cheveux du monsieur penché sur moi. Sa question était réellement très amusante, je ris de bon cœur, en me redressant un peu, la position plutôt inconfortable m'avait donné mal au dos.

-Bonjour ! Je suis le bibliothécaire, Ambroise Poitiers ! Enchanté !

Je me massai la nuque.

-Eh bien j'ai voulu jouer une farce à mon collègue le professeur d'histoire. Est-ce vous ? Si oui, dommage, vous n'avez pas marché longtemps mais c'était très amusant de tout préparé et de sentir votre entrée dans la salle.

Et je me levai en sortant un mouchoir pour enlever le sang sur mon visage.  

-Vous avez aimé ? Je pourrais recommencer ? Parce que monsieur Bleu m'en a beaucoup voulu alors...

Je souris de façon parfaitement amicale.

-Ce serait une belle journée pour qu'il neige...

Le visage un peu plus propre, je pus mieux observer mon vis-à-vis. Qui était sûrement plus vieux qu'il ne le paraissait. j'avais envie de jouer avec ses cheveux blancs ou argent, comme il voudrait les qualifier, mais ça serait très impoli de ma part. Et il y avait des limites à la façon dont j'abordai les gens. En tout cas, pour le moment, il ne semblait pas vouloir me tuer. Ce qui était pour le mieux parce que je n'avais pas du tout envie de recommencer le cirque que j'avais du faire avec monsieur Bleu. J'avais d'ailleurs essayé de me souvenir de son visage pour ne plus lui faire de blague mais j'étais tellement nul pour me souvenir des gens... Tiens, je mangerai bien une pomme d'amour.

Ah, c'était donc bien mon confrère ! Bien, fort bien, j'avais donc réussi à faire ma farce à la bonne personne. Quelle joie ! Bien les ombres ne soient pas loin de nous. Enfin, monsieur Eirik avait souri et c'était tout ce qui m'importait. Il avait apprécié mon tour et même il me félicitait pour ce fait. C'était si rare que je savourais l'instant. Je jetai mon mouchoir dans la corbeille, commençai à remettre les tables et les chaises sur pied et dans le bon ordre avec ma fumée violette. Je rangeai toujours derrière moi, ce n'était pas aux autres de ranger mes bêtises et je savais que personne ne pouvait se plaindre sur ce fait. Même si ranger l'accueil m'avait pris un certain temps après ma dispute avec monsieur Bleu... J'étais toujours navré de sa réaction...

Et d'ailleurs mon collègue ne la comprenait pas non plus. Mais après, je ne leur ai pas fait le même type de farce. C'était à creuser, peut-être que la peinture était vraiment quelque chose à éviter. Et ainsi, mon collègue des matières artistiques ne deviendrait pas fou en voyant des pots disparaître et réapparaître. Quoique ça pouvait faire une bonne plaisanterie, ça... J'allais y réfléchir plus longuement plus tard, il fallait que je récupère de quoi enlever tout le sang. Et je comptais dîner en ville, après une semaine dans la bibliothèque, j'avais besoin de voir des gens même si je ne me mêlerai pas forcément à eux.

-Merci, monsieur Eirik ! Pour monsieur Bleu, et bien, ça a été nettement plus salissant pour lui, je lui ai renversé un pot de peinture bleu électrique dessus. Bien sûr, je lui ai racheté des habits pour la destruction des siens mais il était très mécontent. Il m'a attaqué !

J'étais plutôt content de pouvoir raconter ma mésaventure à un collègue, même si finalement, je trouvais que ça n'en était pas une. J'avais même offert un panier complet de soins et de shampoing au jeune homme... Enfin, les choses allaient parfois ainsi.

-Merci d'accepter de peut-être faire l'objet de d'autres farces, c'est rassurant. Je pensais de plus en plus que les gens n'aimaient pas ça par ici. Je ne cherche pas à faire mal, juste à faire rire un peu ! Promis !

Je ris quand monsieur Eirik commença à être un peu gêné. C'était normal, c'était pas tous les jours que quelqu'un devait le regarder comme ça. Je devais paraître sans gêne. Je rosis un peu et détournai la tête, ma mère m'avait mieux élever que ça.

-Désolé mais comme j'ai du mal à me souvenir du visage des gens, je les fixe pour essayer de les retenir.

Pour la neige, je fronçai les sourcils. J'avais parlé de la neige à voix haute ? Au moins, je n'avais pas parlé de pommes. Ou de paumes. Ou de...

-Euh, la neige... J'aime la neige !

Je ne me voyais pas expliquer que mes pensées allaient dans tous les sens comme des chevaux affolés. A moins que ce soit des licornes. Non, ça ferait mal aux gens qu'elles rencontreraient. Mais les chevaux aussi ça faisait mal, pas vrai ? Je secouai la tête, j'étais encore reparti dans des trucs sans queue ni tête... Tiens donc, mais ça avait quand même un corps alors ? Je secouai encore la tête.

-Etes-vous dans l'établissement depuis longtemps ?

Punir monsieur Bleu ? Non, surtout pas. Monsieur Bleu avait le droit de ne pas aimer mes blagues, tout le monde n'avait pas le même rapport à lui-même face au monde. Pour moi, il était clair que monsieur Bleu prenait très soin de lui et qu'il n'avait donc pas aimé que je salisse son image. Et même si j'étais déçu qu'il m'en veuille, je ferai avec, je n'avais pas besoin que quelqu'un intervienne dans cette histoire. Sans compter que ça ne ferait qu'empirer les choses, vraiment. Peut-être que plus tard, je pourrais reparler à cet élève sans qu'il me voit comme un ennemi... J'attendrai, j'avais appris à être patient.

-Non merci, je ne préfère pas. Je suis sûr qu'un jour, ça pourrait aller mieux entre lui et moi mais si je mêle quelqu'un d'autre à cette histoire, il sera encore plus en colère, je n'en doute pas.

En tout cas, monsieur Eirik ne mâchait pas ses mots. Coincés, carrément ? Je n'aurais pas osé le dire ou le penser. Oh, ça sentait la violette dans ma poche. J'ouvris et je retrouvai des bonbons. J'en proposai un à mon collègue tout en mettant le mien sous ma langue. Avant de le coller à mon palais. Je crois que je suis un homme bourré de pleins de petites anomalies. Bah, quelle importance ?

Je regardai mon collègue s'asseoir à son bureau, je m'assis sur le meuble pour continuer la conversation de façon plus pratique. Je ramenai ma fumée à moi et je la fis disparaître, il n'y avait plus que le sang à nettoyer.

-C'est incroyable tout ce qu'on peut acheter au marché noir.

Je remarquai que j'avais amusé monsieur Eirik en rosissant. Bah, si ça ne le gênait pas que j'oublie parfois un peu les bonnes manières, c'était tant mieux. J'étais un peu surpris qu'il m'invite aussi vite à le tutoyer et à l'appeler par son prénom. D'habitude, les gens pouvaient m'aimer bien -un peu- mais pas assez pour briser aussi vite les distances. C'était intriguant. Peut-être qu'il voulait que j'exauce un de ses vœux. Avait-il déjà compris ce que j'étais alors ? Parce que moi, je ne m'étais même pas posé la question de savoir ce qu'il était. C'était pas le genre de choses avec lesquelles je m'embarrassais. Il faudrait que je rachète des bonbons.

-Alors dans ce cas, vous... Tu peux faire de même. Et oui, un peu... Mais j'y pensais déjà avant, je me disais que je trouverai le moyen de faire de la luge dans les couloirs cet hiver.

Je souris puis pensai à faire revenir à moi mon manteau en cuir rouge. Je risquais de l'oublier en le laissant dans le placard, et très franchement, j'y tenais un peu trop pour ça. Je le posai avec soin sur le bureau à côté de moi après avoir essuyé le sang avec des papiers absorbants apportés par ma fumée.

-Je n'avais pas grand chose à penser en attendant que tu me découvres. Et mes pensées ont tendance à aller dans tous les sens.

C'était le mieux que je pouvais dire à ce sujet. Il parait que c'est une maladie chez les humains mais moi, je ne me sentais pas spécialement malade. J'étais de la fumée, aller dans tous les sens, partout et nulle part à la fois, c'était logique pour moi. Tiens, je ferai bien des bretzels à mon collègue pour le remercier. Ou du nougat. Ou était-ce pour moi le nougat ?

-Oui, on est tout neuf. Et à la rentrée, les élèves vont nous user jusqu'à ce que les vacances arrivent. As-tu beaucoup de charges dans l'école ?

-Tu aimes les bretzels ? Ou le nougat ?

Je ne savais plus lequel était pour moi. Mais après tout, partager c'était bien. Même si je n'avais pas du tout l'habitude de le faire puisque je suis fils unique. Mais j'apprenais, apprendre, c'était évolué. Que ce soit ensuite en bien ou en mal, ça, c'était à soi-même de voir. Je ne me voyais pas comme quelqu'un de bien ou de mal, personnellement. Sûrement parce que je ne comprenais pas bien ces notions surtout très humaines et que mon père n'avait jamais su me les expliquer quand je passais mes vacances chez lui. Mais il expliquait très bien comment faire le thé.

-Oh, donc tu es un expert en sang. Je suppose que ça peut être utile. Tu dois être capable de savoir à quelle créature tu as à faire alors en goûtant. Ça doit être assez bizarre en même temps. Pour moi, le sang, ça a le goût de cassis, je n'y trouverai rien du tout.

M'aider pour l'hiver ? Mon collègue était capable de créer de la neige, réellement ? J'avais hâte alors parce que même si le froid me rendait très vulnérable, j'aimais ça et je n'avais pas peur de me mettre en danger. Tomber malade pour avoir l'occasion de glisser dans les couloirs, ça en valait la peine. Et puis c'était si blanc la neige. Comme les nuages. Comme le cadavre de mon père. Ou plutôt ses os maintenant.

-Avec plaisir ! Du coup, j'ai hâte de voir ça ! J'espère que des élèves suivront, même monsieur Bleu... Quoique monsieur Bleu avait l'air trop sérieux pour penser à faire des choses comme ça...

Oh, il avait remarqué alors que mes pensées allaient partout ? Il avait fouillé ? Si oui, il n'avait pas du comprendre grand chose, puisque moi-même la plupart du temps, je comprenais le quart de ce qui me venait à l'esprit. Là, si je me laissais aller, je serai en train de réfléchir à comment envoyer un nécromant dans un village remplis d'immortels. Pour voir comment ça se passerait. Ça donnerait une étude intéressante non ? Sur la dynamique des forces et le potentiel de haine sous entendu à deux opposés... Je secouai la tête et repris un bonbon. A la menthe.

Et j'éclatai de rire. Eirik voulait monter une dictature et mettre les élèves en soldat. Je voulais voir ça. Par contre...

-Euh, c'est quoi un Hidden ?

J'en avais entendu parler mais les directeurs ne s'étaient pas attardé sur le sujet. C'était des topiaires ?

-Oh oui, je suis toujours en inventaire mais je compte avoir fini pour la rentrée. J'ai commencé par les auteurs en G et là, je fais les M. Mais si tu as quand même besoin d'un livre, tu peux venir, j'essaierai de te le trouver au plus vite.

Je sautai du bureau pour récupérer les papiers et un sac poubelle et je commençai à nettoyer les tables. Plus j'attendais, plus le sang allait sécher et ça finirait par être une tannée pour tout enlever. D'ailleurs, je passais vite au chiffon humide pour passer le papier absorbant ensuite.

J'avais surpris Eirik. Pourquoi, il n'aimait pas les pizzas ? A moins que je n'ai parlé d'autre chose... Peut-être bien. J'essayais de remonter le fil de ce que j'avais pu dire, ce qui n'était pas simple du tout pour moi. Tout s'emmêlait et ça... Ah si, j'avais demandé s'il préférait les bretzels ou le nougat. Bien, fort bien, avec sa réponse, je pourrais lui en offrir... Avec une petite blague supplémentaire. Mais il faudrait que je trouve mieux qu'aujourd'hui. Cependant, l'idée de chercher quelque chose qui pourrait vraiment surprendre mon collègue -mis à part ma façon de penser- me stimulait. Je trouverai et ce sera une bonne tranche de rigolade.

Tout en nettoyant, j'étais amusé de l'entendre dire que le sang n'était pas de la nourriture pour moi. Oui, c'était bien vrai. En fait, je ne pensais pas vraiment avec une nourriture type... En tout cas, maman n'avait jamais dit qu'on devait se nourrir d'une façon particulière. Elle était accro à la cuisine française de toute façon alors... Moi, j'évitais tout ce qui venait de la mer et de l'eau en général. L'eau, c'était jamais très bon pour moi. D'ailleurs, nettoyer tout ça me fatiguerait beaucoup mais je le ferai quand même.

-Ça doit quand même être étrange. C'est comme si je pouvais dire d'où venait mon morceau de bœuf en le goûtant. A moins que ça ne soit pas comparable en terme de...

Je m'interrompis brutalement quand de l'eau vint se mélanger au sang et que le tout fini par la fenêtre. Je me tournai vers Eirik qui s'était levé et qui venait vers moi. Intrigué, je me redressai puisque de base, j'étais penché sur la table que je nettoyais et j'écarquillai les yeux de surprise quand il se colla à mon dos. Il jeta mon chiffon sans me demander mon avis. J'avais l'impression que pour une fois, mon cerveau avait fait un court-circuit. A moins qu'il ne maîtrise aussi l'électricité...

Et il me répondit comme si c'était tout à fait normal ce qu'il venait de faire. Mais peut-être que ça l'était dans sa culture ? Alors ce serait impoli de le repousser -même gentiment- si c'était culturel. J'étais soudainement bien embêté de ne pas savoir de quel race il était. Ou de quel pays. Ishirama, c'était japonais mais tout le monde voyageait de nos jours. Et encore plus les créatures. Je me demandais s'il avait déjà vu la banquise et jouer avec les ours polaires ? Est-ce qu'on pouvait réellement jouer avec un ours polaire ? Et puis pourquoi j'avais cette obsession pour la neige aujourd'hui ? La fumée, ça ne supportait ni l'eau ni le froid, ni la glace, j'étais bien placé pour le savoir.

Donc les Hiddens n'étaient pas des parterres de fleurs. Bien. Je tournai un peu la tête vers Eirik, les joues roses. Je n'avais pas l'habitude qu'on envahisse mon espace de la sorte.

-Les directeurs ont été gentils avec moi, ils m'ont offert des chocolats à la liqueur de cerise. J'étais un peu soûl au bout du cinquième, très forte la liqueur.

Et comme je ne buvais pas bien souvent...

-De tels créatures mystiques. J'irai leur parler quand je pourrais. C'est pas comme si on pouvait dire que je suis stable mentalement moi aussi.

Il faudra que je fasse un cadeau aux Directeurs, je pense. Puis je posais enfin ma question.

-C'est culturel votre besoin tactile ? J'ai lu sur une culture qui...

Et je commençais à l'assommer à propos d'un peuple, sur le sujet des poissons pour revenir à la neige pour repartir sur l'école. Je fronçai les sourcils. De quoi parlait-on déjà ? J'esquissai un sourire penaud pour Eirik, je devais l'avoir soûlé avec mon petit discours complètement inutile. Peut-être que j'étais stressé ? Stressé pour quoi ? Bah, les gens comme mon collègue ne mangeait pas les gens comme moi, j'étais indigeste, j'en étais certain.

-Je crois que je me suis perdu... Désolé.

Décidément, j'amusais beaucoup mon collègue. Mais ça ne me gênait pas tellement, ça m'aidait à me détendre de mon enfermement dans la bibliothèque. Même si j'adorais ces endroits-là, je finissais toujours par y étouffer. Ce qui était logique. C'était pour cela que faudrait que je sorte plus souvent, mais je pouvais être assez flemmard alors... D'ailleurs, j'allais faire la grasse matinée le lendemain, de toute façon, personne ne m'en voudrait si la bibliothèque était fermée le matin. Du moins, je suppose. Je n'avais encore vu personne réellement s'y aventurer. Peut-être parce que c'était les vacances, tout simplement.

Quoiqu'il en était, je me sentais reconverti en doudou. Et comme mon collègue était un peu plus grand que moi, ça me donnait même l'impression qu'il me faisait un câlin parce qu'il me trouvait petit et mignon. Ce qui serait hautement absurde. J'étais petit, oui, mais mignon, absolument pas. C'était les gens très gentils et aimables qui étaient mignons. Et puis les bébés animaux, les koalas, les chats, les pandas, les serpents... Hum, non pas tout le monde trouvait les serpents mignons.

-Des... Ben non, ils ont été très gentils avec moi. De toute façon, je cherchais justement à travailler dans une bibliothèque. Et y'a tellement d'ouvrages rare ici. Y'a même des livres en haut elfique.

Oh dangereux. Oui, sans doute. Mais j'avais envie de rencontrer les Hiddens quand même. Je voulais rencontrer le plus de gens possibles, ne plus être aussi asocial. Surtout que je n'aimais pas les stéréotypes et qu'il était hors de question que j'en sois un moi-même en tant que bibliothécaire. Déjà que j'avais des lunettes... Et que j'étais sérieux en travaillant... Ça me ferait froid dans le dos. A moins que ça ne soit Eirik qui soit froid puisqu'il était toujours collé à moi. Plus serré en plus.

-Tant que tu n'as pas soif, je n'ai pas encore mangé et je n'aime pas m'évanouir.

Parce que je restais sous ma forme de fumée à ces moments là. Et je n'aimais pas tellement qu'on voit mon visage de djinn.

-Je suppose que c'est une comparaison qui se tient. On a tous nos manies.

Et il se colla encore plus. Je bougeai un peu pour que la table ne me rentre pas dans les cuisses. Je trouvais qu'on était dans une position assez bizarre pour des collègues qui apprenaient à se connaître. Mais papa m'avait toujours que j'étais un naïf et que je ne comprenais pas quand on me draguait. Ce qui était possiblement vrai. Je me considérais comme inintéressant sur ce point de vue bien que j'ai de la pratique.

Cependant Eirik me surprit -encore- en touchant ma joue et en me disant que j'étais mignon. Bah, comme ça n'était évidemment pas de la drague, j'haussai les épaules en essayant de contrôler mes rougeurs stupides.

-Non, je ne sais pas. Mais comme je suis roux, ça doit jurer avec mes cheveux non ?

Je me dégageai un peu -mais pas trop puisque ça n'était pas si gênant que ça- de ce qui allait vraiment finir par ressembler à une étreinte d'ours. Ou de maman. Ou d'amant. Ou de poulpe. Pourquoi est-ce que les poulpes serreraient-ils quelque chose ou quelqu'un ? Que savais-je des poulpes ? Rien. Comme tout ce qui provenait des eaux en général.

-Merci d'avoir enlevé le sang pour moi.

Oui, il était plus que temps que je le remercie pour ça.

Je n'étais pas tellement sûr qu'Eirik soit désolé pour ses manies. Après, qu'il ne soit pas capable d'agir pour les cesser aussi sec, c'était un peu plus compréhensible. Il faisait cela de façon plutôt inconsciente normalement alors c'était quand il l'avait fait qu'il se rendait compte. Cependant, ça n'était pas pour autant qu'il cessait, au contraire, il me collait toujours plus. Je ne savais pas si je devais trouver ça désagréable ou marrant. Ou taquin. Ou méchant. Ou embêtant. Ou mystérieux. Ou...

Je fus même surpris qu'il pose sa tête sur mon épaule peu avant que je me dégage. Avoir son visage aussi près du mieux, ça avait été très gênant. Je devais avoir atteint une bonne dose de rose. Coquelicot. Tomate. Fraise. Concombre. Aimant... Je recommençai à me perdre. En tout cas, mon collègue aimait mes cheveux. Je suppose que c'était donc un bon point pour moi sur tout mon physique.

-Merci pour le compliment. J'aime bien les vôtres aussi.

Bien que sa moue me laissa perplexe. Je n'avais pas beaucoup bouger. En fait, j'étais encore assez collé pour bien sentir son torse contre mon dos. Ce qui était assez... C'était tellement rare pour moi d'être aussi proche d'un autre être. Ou même d'un animal. Ou d'une fourmi. Quoique vu que les fourmis peuvent monter sur les gens sans prévenir, peut-être pas en fait. Elles étaient assez sans gêne les fourmis, comme tous les insectes en général. En tout cas, je préférais quand mon collègue souriait, j'avais remarqué que les moues, ça pouvait dire tellement de choses que ça en devenait dangereux.

-Oui, sans aucun doute...

Mes yeux vert d'eau finirent sur sa main quand il la bougea, je ne savais pour quelle raison ? Il n'allait pas me prendre dans ses bras, hein ? Je faillis sursauter quand je sentis un contact sur ma joue. Des lèvres sur ma joue. Un bisou ? Que... Alors qu'il me montrait qu'il pouvait effectivement faire de la neige et je regardais les flocons tombaient lentement sur le bureau, le cerveau un peu vide. C'était joli. Mais qu'est-ce qu'il se passait dans la tête de mon collègue ?! Il... Il distribue des bisous comme ça lui ? Et...

-Joli. Très joli. J'aime les flocons, ils sont tous différents.

J'essayai de calmer une partie de mon esprit que imaginait Eirik en bisounours et qui faisait un bisou à chaque personne qu'il rencontrait. C'était très dérangeant et puis, vu ce qu'il avait dit sur les élèves, il ne leur ferait pas de bisous à eux. Alors quoi ? Ah, je savais, Eirik était en manque de câlin. La solution la plus simple est toujours la meilleure. Alors je me tournai et le pris dans mes bras.

-Je ne fais pas bien les câlins mais si tu es en manque, ben voilà.

Parce qu'il fallait toujours aider ses collègues, on était tellement moins nombreux que les élèves en plus. Je tapotai son dos sans le regarder.

-Mais je ne ferai pas ça tous les jours, hein.

En y pensant, on était forcément moins que les insectes, et même que des particules, des molécules... Je partis dans un calcul complexe et totalement inutile pour ne pas me mettre à surchauffer plus que je ne le faisais déjà. Surtout que je trouvais zéro donc, j'avais fait une erreur sur la variation de l’orthonormée...

J'étais donc en train de donner un câlin à un collègue que je connaissais depuis à peu près une heure. Enfin, y'avait des chances que ça fasse une demi-heure au moins. Et je me disais que je me mettais dans des situations plus ou moins improbables. Déjà avec mes farces mais là... C'était bien la première fois que je faisais un câlin à quelqu'un qui n'avait pas été un coup d'un soir. Et encore... Avait-on jamais voulu de mes câlins ? Incroyable comme ma mémoire des événements ne valait rien à côté de ma mémoire des connaissances livresques.

Je me raidis un peu quand Eirik me souleva, il n'eut aucun mal, au contraire, j'étais de la fumée, même sous ma forme humaine, je ne pesais rien. Et je finis assis sur le pupitre. Il se glissa entre ses jambes pour être plus proche. Bon, au moins, c'était plus à l'aise pour moi de lui faire un câlin. Tiens, j'entendais son cœur qui battait, je savais que les vampires étaient des morts vivants mais donc, leur cœur bougeait encore. Ce qui était logique quand on y réfléchissait puisque sans la pompe, le sang qu'il buvait ne pouvait pas voyager dans son corps et y apporter l'oxygène et le reste... Est-ce qu'un vampire a besoin d'oxygène en fait ? Selon les données, c'était l'oxygène qui permettait... Oh.

-Tu me fais beaucoup de compliments... Merci.

Même si je me disais qu'il se trompait de personne, je savais que j'étais complètement maladroit. Bien qu'assis, mon étreinte s'était faite un peu plus adroite. Par contre, la suite, je ne l'avais vraiment pas vu venir.

-Si je n'aime pas quoi ?

La réponse me stupéfia. Il m'embrassait. Il... Je me changeai en fumée multicolore en quelques secondes, formant des volutes de plusieurs nuances de rouge. C'était quoi ça ?! Nouveau court-circuit pendant lequel je dus faire redémarrer mon cerveau mais j'avais l'impression qu'une partie était sérieusement endommagée parce qu'elle repassait la scène du baiser en boucle. Tandis que l'autre partait sur des conclusions toutes plus grotesques les unes que les autres pour expliquer ce qui venait d'arriver. Dont le truc qui m'échappa.

-Tu as glissé je crois.

Ça devait lui paraître étrange qu'un nuage de fumée lui parle. Mais je pris encore une bonne minute avant de reprendre forme humaine, debout à côté de lui, toujours passablement rouge.

-Je ne devais pas aimer quoi alors ? Je ne t'en veux pas d'avoir glissé, hein.

Parce que c'était forcément une erreur, ce baiser. Eirik n'avait surtout pas voulu faire ça. Non. Niet. Iie. No. ليس. Tous les mots pour dire non.

Pas un accident... Pas un accident ?! Attend, il avait vraiment voulu m'embrasser, moi ?! On se connaissait depuis moins d'une heure ! Il n'avait pas glissé. Je ne sais pas si j'étais content ou complètement dépassé par les événements. Sûrement la deuxième solution. Et en plus, Eirik remettait certains de mes cheveux en place. Ah. Euh. On m'avait toujours dit que ces histoires de coup de foudre dès le premier regard, c'était des bêtises. Donc, mon collègue voulait quoi ? Du parmesan ? Du french cancan ? Un vœu ? Quoiqu'il n'avait pas l'air d'avoir compris ce que j'étais, j'avais l'impression alors...

Et il m'affirma sans détour qu'il avait voulu m'embrasser. Étais-je toujours sur le même plan que d'habitude ? Je ne me souvenais pas en avoir changé... Je regardais un peu autour de moi, puis je me suis pincé. Non, j'étais bien au même endroit donc la salle de classe d'histoire, dans l'établissement Esperanza où j'étais bibliothécaire. Ou était-il possible qu'il existe plusieurs exemplaires des lieux ? A ce moment là, il faudrait aussi plusieurs exemplaires d'Eirik. Je commençai à avoir mal au crâne.

-Je...

Je l'observai allumer une cigarette, la fumée qu'il émit dans l'atmosphère m'aida à me re-concentrer. Par contre, si avant son sourire m'avait rassuré, présentement, je ne savais plus du tout quoi en penser. A quoi réfléchissait-il ?

-Je ne sais pas si j'ai aimé. J'étais trop surpris. Je le suis toujours.

Je me massai un peu la nuque en léchant mes lèvres rapidement, par réflexe.

-Que dois-je comprendre de ça ? Parce que... Tu veux quelque chose non ? Tu veux que j'exauce un de tes vœux ?

Je me devais de le demander, j'étais un djinn, c'était mon rôle d'exaucer les vœux. Même si je me disais qu'Eirik n'avait pas besoin de passer par un stratagème pareil pour que je me mette au boulot si c'était ça.

-Ou peut-être que tu veux du chocolat ? Plus de bretzels ?

Je recommençai à m'emmêler dans mes pensées, ce qui augmenta mon mal de crâne.

Ah. Parce qu'Eirik voulait recommencer ? Recommencer quoi en fait ? A faire des flocons ? Des bisous ? Des câlins ? Ou... Ou le truc là... Bon, il fallait appeler un chat un chat donc... Le baiser. Je me donnai des claques mentales pour ne pas que le film recommence à faire des boucles dans mon esprit. Et non, je ne voulais pas qu'il recommence... C'était trop tôt et comme j'avais mal à la tête, ça n'allait pas du tout m'aider, au contraire. J'avais l'impression d'être la piste d'une corrida. Heureusement qu'une piste ou qu'une route ne pouvait pas avoir mal... Bien que peut-être que les molécules... Non...

Par contre, j'avais l'impression de l'avoir un peu vexé du coup, d'ailleurs, quand il le dit, je me raidis un peu. Allait-on finalement se fâcher parce que je trouvais ses réactions très... inattendues ? Je retins une grimace.

-Je ne suis pas un génie. Je suis un djinn ! On est pas exactement pareils.

Oh, ça non. Il n'y avait pas de contrecoup à faire exaucer ses vœux pour mon cousin le génie. Moi, c'était autre chose par contre...

-Pardon, je sais bien que les gens ne voient pas tellement la différence mais passons.

Qu'il me dise qu'il a déjà eu tout ce qu'il voulait me fit sourire. Les gens étaient d'éternels insatisfaits. A un moment donné, il y aura forcément quelque chose qu'il voudra. Mais avec un peu de chance pour lui, il n'aura pas besoin de mon aide pour l'obtenir.

-Eh bien, je veux bien te croire mais il va me falloir un temps d'adaptation.

Vu comment Eirik insistait, soit il pensait vraiment ce qu'il disait, soit il avait une idée derrière tout ça et pour le moment, je ne voulais pas savoir. Même si ça risquait de me faire du mal, je ne voulais pas savoir. Je vais simplement profiter du moment présent et du fait que quelqu'un ait envie de s'intéresser à moi. A mes cheveux. A mes rougissements. A mes pensées mille fois éparpillées.

Je revins à mon collègue qui avait l'air un tout petit peu agacé ce qui me fit esquisser un sourire penaud. Ou fatigué. Je n'avais vraiment pas compté vexer quelqu'un aujourd'hui.

-Je ne parlerai plus de ça, promis.

A moins qu'il ne revienne lui-même sur le sujet. Euh, quel sujet déjà ? Je me fis chopper et je finis donc à nouveau contre le torse du vampire, je levai la tête tout en l'écoutant. Je faisais bien les câlins ? Ma mère exploserait en entendant ça. Elle me trouvait trop gentil comme djinn.

-Euh... Si, tu peux. Mais comme je l'ai dit... Je crois... Je ne te ferai pas de câlins tous les jours. Quand on est trop gâté, on ne voit plus la valeur des choses.

Et c'était pour ça que je pouvais "arnaquer" autant de gens. J'étais une sorte de cambrioleur qui se nourrissait de leurs vœux. Mais comme je refusais de tuer, je n'étais pas très très puissant. En fait, à côté de ma mère, j'étais nul.

Ah, il connaissait donc les risques de me demander de lui exaucer un vœu ? Quelque part, c'était dommage pour moi mais après, de toute façon, ça n'aurait pas été une bonne idée de me nourrir des gens de l'île. Surtout que comme j'y travaillais, ils viendraient me voir pour faire des réclamations comme à un supermarché alors que je ne pouvais pas du tout les rembourser. Ni repris, ni échangé. Enfin, tant mieux s'il savait, ça m'évitait de devoir expliquer ma nature et ça m'allait très bien comme ça. Tant qu'il ne me confondait plus avec un génie, hein... Je n'étais pas aussi gentil. Enfin, je le pense.

-Ce n'est pas grave, ça arrive souvent, je ne t'en veux pas.

Je me pris encore un bisou, j'étais bien conscient d'avoir l'odeur d'Eirik sur moi. C'était marrant, c'était comme s'il avait voulu marquer son territoire. Comme les animaux. Quoique, pour marquer leur territoire, les vampires préféraient mordre non ? A moins qu'il faille carrément un échange de fluide... Mais Eirik n'avait pas eu l'air finalement d'avoir eu envie de me boire alors tout allait bien. Normalement. Il faudrait cependant que je m'habitue s'il comptait vraiment me... draguer. Parce qu'à rougir comme une pucelle, je devais être un peu ridicule. Ou mignon.

-Je n'aime pas énerver les gens. Je sais bien que je fais des remarques qui peuvent blesser des fois, pourtant, là encore, ça n'est pas mon idée première.

Je le regardais enlever sa veste, s'arranger physiquement comme s'il ressentait le besoin de me montrer ses atouts. Ou c'était moi qui voyait le mal partout. Quoique, est-ce que c'était mal qu'il tente de me faire baver sur son corps ? Même si sans doute qu'il préférait autre chose que de la bave... Hum, mes pensées allaient un peu trop loin à mon goût là.

-Oui, merci de bien vouloir être patient avec moi. C'est ce qui fonctionnera le mieux de toute façon.

A part si Eirik voulait me voir le fuir en nuage de fumée. Ça, ça serait à voir. Il évolua jusqu'à la fenêtre, comme pour me donner de l'espace et arrêter de me court-circuiter le cerveau. J'attrapai alors mon long manteau rouge et je l'enfilai rapidement. Je laissai un carton sur la table pour lui. Dessus, mon nom et mon numéro de portable.

-Au revoir. Oh, j'y pense, si tu passes à la bibliothèque tu remarqueras que j'y suis un peu... différent. Enfin, tu verras bien. A la prochaine.

Je fis aller un cœur en fumée jusqu'à lui qui "explosa" contre sa joue et je partis en sifflotant. Je n'avais plus qu'à espérer que mes autres collègues avaient de l'humour eux aussi. Je me dispersai en allant enfin en ville pour mon dîner.




[RP terminé]