Bon, fallait quand même que je le fasse mieux non ? Parce que je ne pouvais décemment pas me battre avec la demoiselle comme avec Maks'. Demoiselle dont j'avais encore oublié le prénom. Elle allait finir par me détester en tout cas. Parce que lui mettre une colle dès le premier jour... En même temps, il avait bien fallu, elle avait voulu voler dans le cyber-café. Quelle idée quand même, j'avais bien fait savoir que j'étais membre du personnel ? Elle avait vraiment pensé que je ne dirais rien.

Les femmes étaient vraiment étranges. La preuve avec madame Feuillage.

Enfin bon, j'étais dans l'amphithéâtre et très franchement, je n'avais pas de raison de me plaindre du lieu. Les Direc... Le Directeur avait fait un sacré boulot à l'époque. Impressionné, je me demandais seulement comment la jeune femme allait prendre sa punition. Bah, j'allais le savoir très vite. Je vérifiai le texte que j'avais choisi... Ouais... Je doutais que ça lui apprenne l'humilité mais bon, on pouvait toujours essayer, pas vrai.

Elle m'avait fait choisir un auteur dont je détestais la prose en plus. Victor Hugo, pourquoi avoir écrit autre chose que des poèmes ?

-Bon, elle arrive oui ?

J'avais dit à un surveillant de la prévenir et de l'amener ici. Elle ne devrait plus tarder. Décidément, si on m'avait dit un jour que je donnerai des punitions... L'existence offrait de sacrées surprises. Debout près du bureau, je récitai l'une des poésies les plus poignantes de Victor, celle qu'il avait écrit pour sa fille bien aimée qui était morte avant lui. Autant donner un peu de spectacle avant qu'elle m'en donne, pas vrai ?

Quand la voix de l'élève résonna, je levai les yeux pour la voir émue. Étonnant, j'étais sûr que c'était rarement le genre d'émotions qui apparaissait sur son visage et dans son timbre. Et pourtant, là, elle la montrait, comme si j'avais su exactement trouvé les mots pour la dépouiller d'une partie de son masque. Ma foi, je n'avais même pas essayé et je n'avais pas pensé le faire non plus. Oui, je voulais lui montrer ce qu'était l'humilité mais je n'avais pas compté l'arracher de sa tour d'ivoire pour autant. Enfin, j'allais bien voir comment aller tourner la suite.

-Exact, mademoiselle, exact. Je vois que vous êtes sensible à la poésie d'Hugo.

Je lui fis signe de me rejoindre tout en souriant un peu. Je n'étais toujours pas un croque-mitaine. D'ailleurs celui-ci était retourné chez lui et ne risquait pas de revenir de si tôt de ce que je savais. Enfin, pour en revenir à nos béliers - ou nos brebis... moutons ? - il était temps de prendre le début de la punition.

-Bonjour à vous. J'espère que vous avez eu une bonne journée. Pastille à l'abricot ?

Hum, non, je n'étais pas censé lui proposer des bonbons. Argh, moi et ma personnalité. Je cherchai mon instrument de torture, le passage de Cosette quand elle parle de son malheur à monsieur Valjean... Et y'en avait qui rigolerait bien de voir que je retenais mieux le nom de personnages de roman que je détestais que des gens que je rencontrais et que j'aimais bien. Comme Maks'... Impossible de me souvenir de la suite de son prénom. Et son nom de famille, valait mieux pas en parler.

-Bien. Même si je sais que vous n'en retiendrez pas grand chose car vous aimez bien trop que l'on vous remarque, je veux que vous me fassiez ce passage avec toute l'émotion qui s'impose.

Je lui tendis la feuille.

-Je ferai monsieur Valjean. Je ne serai satisfait que quand je vous aurais vu vous mettre réellement à la place de Cosette. Je vous laisse le temps de vous imprégnez du texte avant que l'on commence. Dix minutes.

Elle n'allait vraiment pas aimer mon exercice mais j'avais la chance d'être le membre du personnel et c'était donc moi qui décidait et diriger. J'allais m'asseoir sur la première rangée de tables de l'amphithéâtre, lui laissant la scène. Elle l'aimait tellement qu'elle saurait l'occuper non ? Je l'observais tout en ajoutant cette règle.

-N'oubliez pas d'occuper la scène aussi. Je veux me sentir au théâtre, comme au cyber-café où tout le monde nous observait. Vous n'allez pas décevoir un amateur de dramaturgie, n'est-ce pas ?

Je suçai une pastille à l'anis en souriant.

Pas sensible, vraiment ? C'était sûrement pour cela qu'elle se défendait avec tant de véhémence. Ah les femmes, ne jamais regarder sous leur maquillage si l'on ne voulait pas se prendre des baffes. Même si elle n'arriverait pas à m'atteindre en réalité. Si je laissais une telle chose arriver, nous n'aurions que des ennuis. Tout en m'interrogeant, des élèves qui avaient attaqué leurs enseignants, ils avaient été puni, expulser ou tuer ? Bon, peu importe, je répondrai à ma question plus tard.

-Je pense que c'est simplement une question d'ancienneté. Mais en vérité, le français devrait être appelé la langue de Joachim du Bellay, un des plus fervents participants pour que cette langue ait enfin une écriture qui ne varierait plus. Hum, stop, je vais me perdre si je pars par là.

J'avais remonté le temps pour voir ça, ça avait juste été magnifique de le voir avec Ronsard et les autres se disputaient, se mettre d'accord sur une grammaire formelle du français. J'en avais fait une étude. Mais là encore, c'était une de celle que je n'avais pas publié, ça ne regardait personne... Et puis ça n'avait pas l'air d'intéresser des gens en plus du fait que la plupart des créatures comme les humains cherchaient la langue originelle. Quelle hérésie...

-Pour ma part, je préfère la poésie d'Hugo que sa prose. Je n'aime pas les Misérables mais pour autant, c'est bien l'oeuvre que j'ai choisi pour notre exercice.

Je remarquai par ailleurs que maintenant que j'avais vu un peu sous l'armure, elle avait du mal à se cacher. Intéressant, cela pourrait faire tomber tellement de lambeaux quand elle serait enfin en train de jouer Cosette. Pouah, je détestais ce prénom. Victor, Victor, tu aurais pu faire mieux sans faire autant... misérable, justement.

-Non, ce sont les vrais mots du roman. Les mots de l'auteur lui-même. Ils ont plus de force et donc plus d'impact et c'est ce qui m'intéresse.

J'avais un sourire à la mention de chanson.

-Vous pourrez cependant me chanter quelque chose après cela. Tant que cela a un rapport, je suis preneur.

J'attendis dix minutes, comme promis. Sans relire le texte, je n'avais pas besoin de cela. J'admirai plutôt la salle en suçant mon bonbon, perdu dans mes pensées. Puis, pour rendre le moment plus vrai, je répandis ma fumée dans l'amphithéâtre et créait des personnages, hommes et femmes, tournés vers l'estrade qui allaient écouter la demoiselle déclamer son texte. Après tout, elle aimait avoir un public, je pouvais bien faire semblant de lui en donner un.

Revenant à la jeune blonde, je l'observais pour voir si elle avait capté toute la détresse, la tristesse et le désespoir de Cosette. Je voulais les voir ces émotions et je lui ferais recommencer souvent dans l'heure si elle n'y arrivait pas du premier coup. Toussotant, je l'interpellai ensuite.

-Mademoiselle ? Prête ? Qu'avez-vous senti venir du texte ? Pensez-vous avoir compris Cosette ?

Je n'attendais cependant pas d'humilité dans sa prestation. Je ne pensais réellement pas qu'elle puisse en montrer.

-Oui, bien sûr. Je sais que dix minutes ne suffisent pas à apprendre un texte par cœur.

Pour une personne lambda. Ne parlons pas de moi, j'étais encore un cas mais ça, c'était comme d'habitude. En tout cas, mon petit manège avait surpris mon élève qui avait du mal à comprendre comment autant de personnes avaient pu se présenter dans la salle en si peu de temps. Fumée, fumée... Ces spectateurs n'étaient que du vent. Ou tout simplement, ils n'existaient pas et c'était aussi bien. Parce que moi-même, je me serai demandé d'où ils venaient.

Enfin, même si elle fut désarçonnée quelques secondes, ça ne l'empêcha pas de prendre son rôle à cœur. Elle avait même défait sa coiffure, preuve qu'elle voulait bien faire. Décidément, ce petit bout de femme était plus faite pour le théâtre que pour le chant à mon sens. Presque la vedette d'une troupe. Mais presque parce qu'elle n'avait pas encore tous les traits d'une vraie actrice, et ce peu importe combien elle pensait tromper son monde.

L'écoutant débiter son texte, je lui répondis ensuite. Le fait qu'elle soit si volontaire rendait tout ceci beaucoup plus réaliste mais il manquait quelque chose dans son interprétation : la naïveté. Car Cosette était une enfant qui avait souffert mais qui pensait encore que le monde, que sa vie pouvait changer. Or, malgré elle, la jeune blonde laissait échapper une maturité qui ne correspondait pas du tout à mes attentes. Du coup, après la quatrième réplique, je la coupai en secouant la tête.

-Il manque quelque chose, jeune fille. Où est la naïveté et l'innocence qui correspond à l'âge de Cosette ? Vous jouez très bien sa peine mais vous oubliez de laisser voir ses espoirs et ses attentes, cette naïveté en cette croyance que tout peut changer, même si cette innocence est cachée sous un tas de déceptions et désillusions. Elle existe. Alors rajoutez-la. Sentez-la.

Je m'avançai un peu.

-Nous sommes tous des enfants au fond. Nous pouvons avoir grandi, changé... Mais en réalité, ce sont juste des armures. Redevenez l'enfant que vous n'êtes plus selon vous. Et faites donc mieux que ceci. On recommence depuis le début.

Elle ne saurait pas surprise, je l'avais prévenu que tant que je ne serai pas satisfait, l'on reprendrait. Ceci étant dit, je m'interrogeai toujours sur la créature qu'elle était. Elle avait en elle quelque chose de tragique mais je n'arrivai pas à mettre le doigt alentour. Hum... Peut-être que son prénom m'aiderait mais... Il ne me revenait pas... Ce qui n'arrangeait pas du tout mon affaire. Je n'avais pas son dossier sous la main ? Je cherchai rapidement. Aleksandryna. L'écriture sonnait Europe de l'est, comme Maks'.

-Prête ? A vous.

Mon "public" applaudit quelques secondes pour l'encourager.

Oh.

Oh...

Clairement, ce que je lui avais dit l'avait troublé, peut-être même blessée. Quoique... En examinant son jeu, tout en lui répondant d'une voix bourrue d'homme ayant passé des années derrière les barreaux d'une prison, je compris que je l'avais obligé à voir ce qu'elle refusait même de percevoir habituellement chez elle : sa profonde détresse. Quoi que cela puisse être, elle avait été déchirée, brisée et elle ne s'était jamais reconstruite. Elle pensait l'avoir fait cependant.

Mais j'étais sans aucun doute l'un des mieux placés pour voir que ce n'était pas vrai. Pour savoir que construire sur des ruines ne faisaient que plus de gravats qu'il faudrait encore nettoyer plus tard.

Elle était réellement touchante cette fois, comme... Comme l'enfant qu'elle avait dû être et qu'elle avait perdu de vue. Elle n'allait pas la retrouver aujourd'hui mais un premier pas ne serait pas un mal. Si j'avais su que j'allais plus ou moins jouer les psychologues en me lançant à lui faire jouer Cosette... Je n'arrivais pas à me soigner mais j'étais quand même en train de l'aider à se sauver. Quelle ironie. Mais j'étais doué pour ce genre de situations incongrues.

A la fin de cette récitation, mon "public" applaudit et le fit disparaître d'un mouvement de main avant de monter sur la scène pour la rejoindre.

-Comment vous sentez-vous ?

A sa place, je me sentirai vide et perdu... Enfin, je le supposais parce que finalement, me connaissant, ce serait encore plus complexe.

-J'ai bien conscience que cette expérience cathartique est aussi douloureuse que libératrice. Comme vous le voyiez, mon but n'est pas de vous faire du mal mais de vous rappeler que peu importe à qui vous vous adressez... Peu importe pour quelle raison... Il y a encore un enfant en dessous qui peut être blessé.

Je posai une main douce sur son épaule.

-Je ne dis pas que parfois, cela ne s'impose pas. Je dis par contre qu'il faut toujours savoir doser. On veut tous être aimés. Même vous. Alors sachez être prudente. La gloire dure bien moins longtemps qu'on ne voudrait le croire. Et elle n'apporte pas le bonheur, juste de la satisfaction.

Je tapotai, enlevai ma main pour récupérer ma feuille, lui donnant le temps de réfléchir et éventuellement de me poser des questions si elle en avait. Je me faisais vraiment sage aujourd'hui... Qui se serait attendu à cela ? Pas moi en tout cas. Du coup, je repris un bonbon avec l'envie d'être consolé.

Elle avait presque l'air d'avoir perdu son âme mais je savais qu'en réalité, elle retrouvait une légère connexion avec celle-ci. J'étais toujours un peu mal à l'aise de lui avoir fait vivre cela, ce n'était pas à moi de l'aider à se retrouver mais en même temps, si personne ne lui tendait la main, elle n'irait que dans la bouse de dinosaure. Alors bon... Et ça ne me coûtait rien, juste du temps. Beaucoup diraient que c'était justement le plus important pour n'importe quel être mais non... Le temps n'avait de valeur que celle que l'on lui donnait, comme le reste.

Et puis alors que je rangeais mes papiers, la voix de la jeune fille s'éleva. Elle avait vraiment une belle voix quand elle n'hurlait pas comme une folle dingue. Écoutant attentivement, je me trouvais à aimer la chanson. Tout ce qui était celtique... des vieux âges en fait, avait plus de poids dans mon esprit que les nouvelles croyances. Je trouvais qu'il manquait quelque chose à ce monde technologique. Non, pas âme mais une compréhension globale. Plus que jamais, les hommes eux-même étaient divisés alors qu'ils n'avaient pas de raison pour cela.

-Oui ?

Je me tournai vers elle, elle semblait apaisée, mais en même temps...

-Que ? Eh bien je suis en couple, mademoiselle. Et je suis amoureux de mon nigaud de vampire, je vous l'assure. Même si cela n'est pas facile tous les jours.

Je lui souris tout en m'approchant pour mieux voir ses expressions. Je retins un rire alors qu'elle me disait capable d'être professeur de théâtre. J'en doutais lourdement de mon côté, manager plusieurs personne en même temps demandait une énergie que je ne pensais pas posséder. En plus, il y avait toujours des fortes têtes et je ne saurais pas m'imposer à ce point. Ce n'était pas du tout mon délire. Les livres eux, avaient toutes les qualités requises pour que je passe une excellente journée sans m'énerver. En sachant qu'Eirik en aurait après mes nerfs ensuite.

-Non, pas du tout. Gérer trop de personnes, c'est stressant.

J'attrapai ma sacoche au vol.

-En ce qui concerne l'amour... Je ne vous dit pas de ne pas le chercher. Je ne vous dit pas que tous les jours sont heureux. Mais je sais que j'aime une chose dans l'amour : c'est de savoir que quelqu'un m'attend à la maison et que donc, je ne serai pas seul.

Je m'étirai un peu avant de m'éloigner vers la sortie. Oui, on m'attendait et j'avais envie de le voir. Il m'avait manqué... Est-ce que je lui manquais ? Sur le haut des marches, je jetai un dernier coup d’œil sur mon élève, une main sur la porte. Elle s'en sortirait. A voir combien de temps cela prendrait. Il paraissait que ça avait été long pour Sword alors on verra bien avec elle.

-A bientôt, mademoiselle. Prenez soin de vous.

Et je finis auprès de mon vampire.