J'en avais marre, il m'écoutait pour pouvoir juste me faire mal ensuite. Pourquoi il ne comprenait tout simplement pas que des fois, j'avais besoin d'être rassuré, qu'après la journée d'hier où maman m'avait définitivement abandonné, j'avais besoin qu'il me dise qu'il serait là et pas que j'étais à lui ou d'autres choses de ce style ? C'était si compliqué de comprendre ce qu'englobait le mot "couple" ? Que ce que j'entendais surtout par là, c'était être là l'un pour l'autre ? Tout ce qu'il voyait c'était une possession. Il me réduisait à l'état d'objet et quand j'essayais de le faire réagir dans le bon sens, ça dérapait et ça donnait... Ce que j'avais dit. Et ce qu'il me crachait au visage.

La gifle ne me surprit pas, de toute façon, je méritais toujours les punitions qu'on me donnait, hein ? De toute façon, les coups ne faisaient pas mal, non c'était toujours les mots. Il n'en avait rien à faire... Pour moi, tout était dit avec ça. Je finis dans le fauteuil sans comprendre, de toute façon, je n'étais plus qu'une poupée qui avait peur. Ce qu'il me donnait... Je savais que je tremblais, cette fois impossible de le cacher, impossible même qu'Eirik ne sente pas ma peur. Je ne pouvais pas répondre à cette question.

Je n'étais pas assez bon.

Et je ne m'étais jamais senti aussi vide avant hier soir. Je levai les yeux pour le regarder... Pour finir en petite boule de fumée tremblotante. Je me sentais complètement brisé de l'intérieur, je n'avais rien, j'avais tout perdu et je le méritais.

-Tout ce que je voulais... C'était que tu me dises que tu serais là... Je suis nul, nul, nul, nul...

Juste une sale boule de fumée intangible et incompréhensible pour tout le monde. Juste de la poudre aux yeux qui avait peur de tout même de lui-même, même de vivre.

-Je préférerai que tu me frappes plutôt que tu me dises tout ça. Les mots me font toujours plus mal que les gestes...

Je n'étais pas un intellectuel pour rien. Je l'avais laissé entendre d'une petite voix un peu sanglotante. Je sentais ses efforts pour me toucher mais ils étaient plutôt vains parce que j'avais peur de ses mains sur moi alors qu'il laissait entendre des choses pareilles. Je n'aurais pu supporter le contraste entre ses dires malveillants et son toucher si... doux ? En fait, j'avais remarqué qu'Eirik essayait souvent de me dire des choses par ses gestes mais ça ne me suffisait pas. Ça ne pouvait pas suffire à un gamin comme moi qui avait été privé de tout.

Je le sentis se lever parce qu'il déplaçait l'air autour de moi pour revenir avec Glacier. Mon chat n'avait vraiment pas l'air content le pauvre. Il miaula comme pour dire "vous êtes stupides" et me regardait sans bien comprendre. Il ne m'avait jamais vu aussi petit et intangible...

-Je suis nul parce que je sais que tu ne comprends pas mais des fois, j'arrive pas à simplement m'expliquer... Parce que je ne comprends pas que tu ne comprennes pas. Je n'avais rien, je n'ai jamais rien eu de véritablement à moi. C'est sûrement bête pour toi, mais j'ai besoin d'être rassuré, j'ai besoin de l'entendre...

Je me fis encore plus petit. Bien sûr qu'il me reprochait de trop en demander. Qui lui en voudrait ? C'était à moi de rester à ma place et d'arrêter de penser que j'avais droit à plus. J'avais beau le savoir, parfois je n'arrivais pas à me raisonner. En fait, j'étais toujours le même petit garçon qui attendait qu'on l'aime beaucoup plus que ce qu'il devrait avoir. Glacier miaula encore et tendit une patte, me traversant complètement. Et Eirik qui me demandait de prendre forme humaine. Oui, Eirik. Je ne pouvais pas dire mon vampire.

J'en revenais encore à ça, peu importe que c'était bien ou mal. C'était comme ça dans mon esprit, un bourrage de crâne qui ne voulait pas disparaître. Je n'étais rien, je ne méritais rien et si je demandais, c'était normal qu'on me frappe et qu'on me remette à ma place. En temps que rien.

-Je suis désolé... Tellement désolé...

D'être abîmé à ce point.

Je repris forme humaine, sentit Glacier poser ses pattes sur moi et même rapidement se mettre à masser pour s'installer. Mais je ne réussis pas à sourire pas plus qu'à bouger. J'aurais juste voulu m'effacer et les laisser vivre leurs vies sans moi.

-Alors pourquoi ne pas tout simplement m'avoir dit que tu ne voulais pas répondre à ça ? Au lieu de réduire notre relation à... à moi en tant qu'objet. Oui, je sais que ce n'était pas ce que tu voulais dire mais si je ne te connaissais pas du tout, c'est la seule chose que j'aurais compris.

J'étais plutôt tendu alors qu'il recommençait à me toucher. J'avais deux langages venant de lui qui ne disaient absolument pas la même chose et je me demandais vaguement s'il avait conscience d'être aussi contradictoire entre ses paroles et ses gestes. Je frissonnai sous sa douce caresse, je ne savais pas de quoi mais c'était le cas. Ses doigts étaient froids mais il était doux, comme s'il avait peur de me casser alors qu'au fond, il avait déjà cassé quelque chose tout à l'heure. Je me sentais comme une loque mentalement et je ne comprenais pas comment je faisais pour rester là sans faire... La plus petite bêtise.

J'avais envie de tout et rien à la fois, j'avais envie de lui faire l'amour et de me noyer dans un océan dans le même temps. Dans les livres, on disait souvent qu'Eros et Thanatos allaient ensemble, que les pulsions de désir et de mort ne pouvaient pas être réellement séparées. Ça n'avait jamais été aussi vrai pour moi avant lui. Et autant j'aurais voulu qu'il cesse de me dire son amour avec ses mains autant j'aurais aimé qu'il aille plus loin. En fait, ça devait être pour ça que j'étais incapable de rester sage. Ce qu'il disait avec son corps, j'aurais voulu qu'il le dise avec sa voix. Mais je ne pouvais pas l'avoir...

-Si je te disais qu'on n'était pas un couple, comment réagirais-tu toi ?

Je voulais le savoir. Réellement. Peut-être que comme ça, j'arriverai finalement à rester dans la petite boîte où il tenait tant à me ranger. Je me décidai enfin à lever les yeux pour le voir assis sur son parquet, sa main pesant sur ma cuisse. Il me donnait l'impression que s'il ne pouvait pas me toucher, je disparaîtrais. Techniquement, je pouvais le faire mais je ne voulais pas lui faire du mal. En fait, là était la clé quelque part, je finirai plus ou moins par être ce qu'il voulait que je sois... A voir si ce fait finirait par me déprimer ou non.

-Je ne te laisserai pas devenir fou, chéri. Si tu finissais par réfléchir comme moi, on serait très mal barrés.

Petit trait d'humour et je m'efforçai à sourire même si je me doutais que ça n'atteignait pas mes yeux. Ce serait trop me demander à cette heure, j'avais besoin de me reposer, vraiment et il allait falloir que je trouve un moyen de pouvoir le faire sans le paniquer. Peut-être que retourner dormir suffirait... Mais avant, je ne pouvais pas le laisser dans cet état. Peu importait le mien au final, je voulais qu'il aille bien. C'était déjà cassé de toute manière alors il n'y avait plus rien à faire. Je pris doucement Glacier pour le déposer sur l'accoudoir, me laissai glisser sur le sol pour le rejoindre. Et je l'enlaçai en déposant un baiser dans ses cheveux.

-Oui, parfois tu me fais peur. Quand tes mots ne correspondent pas à tes gestes, que je ne te comprends pas, tu peux me faire peur...

Je ne pouvais pas ne pas être honnête.

-Mais je préférerai que tu me tues plutôt que tu brises le lien. Je ne te haïrai pas. Pas toi.

Je me mis à le bercer tout en ouvrant un passage à la chambre du palais de glaces. Je ramenais mon gros sac dans le salon pour ensuite me mettre à caresser son dos et sa nuque, l'embrassant sur la tête encore une fois.

-Je t'aime Eirik et je ne vais nulle part... Je suis juste à toi...

Je fermai les yeux doucement, restant presque enroulé autour de lui. Je m'occuperai de moi plus tard, toujours plus tard. Quand on aimait, c'était comme ça, j'avais su dès l'instant où j'avais compris mes sentiments qu'il passerait avant tout le reste. Je lui fis relever la tête pour un baiser chaste et tendre. Puisqu'il préférait les gestes aux mots...

-Tu vois. Ça te fait mal de m'entendre dire qu'on n'est pas un couple. Alors quand tu le dis, c'est normal que j'ai mal, non ?

Un coup de poing avec toute sa force ? Il me dévisserait la tête. Enfin, si c'était possible de dévisser la tête de quelqu'un. Puisque la tête était rattaché au corps pour le cou composé de muscles, de nerfs, d'artères importantes et des cervicales... Hum, je me perdais. Enfin, ça me rassurait qu'il ne veuille pas me ranger dans une toute petite boite mais en même temps, au final, qu'est-ce qu'il voulait ? Le façon dont il s'accrochait à moi me laissait dans une sorte de stupéfaction. Pas parce que je n'avais senti qu'il m'aimait mais qu'il puisse se sentir désespéré de ne pas m'avoir contre lui, c'était... presque inconcevable dans mon cerveau.

Où voudrait-il que j'aille au final ? S'il avait osé penser que je pourrais aller retrouver Alphonse, il mériterait une baffe. Et même plus d'une. J'étais lié à lui. Comment pourrait-il imaginer que mon meilleur ami puisse être mieux que lui ? Pourquoi aussi... Ou peut-être que j'étais à côté de la plaque et que je manquais quelque chose, encore. Mais on ne pourrait pas m'en vouloir, j'était vraiment très fatigué mentalement. Peut-être que ça s’illuminerait plus tard. Là, tout ce que je pouvais faire, c'était le bercer encore et encore. Je n'arrivais pas à savoir s'il avait peur ou s'il était triste puisqu'il semblait vouloir fondre contre moi. Peut-être les deux...

Et là, il me laissa bête. Avec l'envie de pleurer de retour. De rire aussi. Je le regardais me dire ça... Et si c'était banal pour les autres, pour moi, c'était tout sauf ça. Chacun de ses "je t'aime" était précieux. Il cessa pour m'embrasser en retour, achevant de me noyer le cerveau.

-Je ne me sens pas innocent.

Fut ma première petite protestation après ça. Je secouai un peu la tête pour me reprendre.

-Je ne veux pas t'empêcher d'être toi, Eirik. Juste t'empêcher de commettre des choses qui pourraient tout jeter à la mouette.

Quelque chose me disait que ça ne devait pas être la bonne façon de le dire mais ça n'était pas grave, j'étais certain qu'il comprenait l'idée. Quant à ne pas être comme moi... Comme si j'aurais pu être amoureux de quelqu'un comme moi alors que j'avais des instincts suicidaires. Je me redressai un peu, laissant une étreinte plus lâche autour de lui.

-Moi aussi, c'est la première fois...

J'esquissai un petit sourire, les joues roses. Je ne voyais pas la chose comme une maladie ou un truc honteux... Quoique non, il ne voyait pas la chose ainsi lui non plus. Le problème n'était pas d'avoir des sentiments ou de les dire. Non, c'était de les exprimer convenablement à moi, la personne qu'il aimait. Je l'embrassai sur le front et me levai, l'aidant à faire de même. Je ne savais pas trop comment il allait prendre la chose alors je déplaçai d'abord mon sac vers sa chambre tout en me blottissant contre lui. J'avais l'impression d'être son doudou, c'était étrange comme pensée.

-Tu m'emmènes dans ton lit... Je crois que j'ai besoin d'encore un peu de sommeil.

Présentement, c'était le seul moyen que j'avais d'être seul avec moi-même sans m'éloigner de lui. Je sentais que si j'essayais de sortir sans lui, il casserait le vase du Verseau avec un sanglier... Il fallait quand même que je ramasse les morceaux après ça.

-Ça ne te dirait pas de dormir encore un peu toi aussi ? Tu n'es pas fatigué ? Si tu veux, tu pourras boire un peu.

Ça aussi, c'était sensé faire partie de mon rôle, pas vrai ? Et ça m'assommerait plutôt bien tout en l'assurant que je n'irais nulle part du coup.

Comment ça, je savais que j'étais innocent ? Comment pourrais-je l'être, hein ? Je ne suis pas empreint d'une perversité malsaine, je le concevais mais j'étais quand même pas ignorant sur les choses hideuses qui pouvaient se faire dans le monde. Ne pas participer ne rendait pas innocent. Au contraire, voir un homicide sans intervenir, c'était être complice et donc loin d'être innocent. A moins qu'il ne conçoive le sujet sur une autre portée... Cependant, j'allais éviter de chercher plus loin. Dormir, je voulais dormir.

-Je ne connais pas ce dictionnaire mais si tu l'as, c'est tant mieux.

Il souriait à nouveau mon vampire. C'était pourtant pas gagner au début, au contraire. En tout cas, il allait mieux et c'était déjà ça. Je n'avais finalement pas tout perdu dans cette histoire. C'était un peu déstabilisant que le simple fait que je reste puisse lui être à ce point important pour lui. Nous n'avions jamais parlé d'emménager l'un chez l'autre, en réalité, nous nous retrouvions sans véritablement avoir prévu la chose et au matin, nous repartions travailler presque chacun de son côté. En réalité, c'était la première fois que j'allais réellement rester plusieurs jours d'affilées avec lui...

Du coup, comment allait se passer la cohabitation ? Je ne pensais être la créature la plus envahissante du monde mais Eirik avait tellement l'habitude d'être au calme. Et on ne pouvait pas réellement dire que je l'étais. Nous finîmes dans sa chambre et alors qu'il s'installait confortablement, j'allais à mon grand sac pour me changer. Je ne pouvais décemment pas me mettre à dormir avec toutes les couches de vêtements que je portais. Finalement en pyjama, je vins m'allonger près de lui.

-Notre lit est un peu froid, j'espère que je vais vite le réchauffer...

Petite réplique pour lui faire comprendre que j'étais d'accord pour dire notre lit. Même si j'avais les joues roses et le regard un peu fuyant. J'écartai le col de ma blouse pour laisser mon cou complètement découvert.

-Alors tu veux boire ou pas ?

Très sincèrement comme j'avais déjà proposé, j'avais pensé qu'il ne se gênerait pas pour me renverser sur le matelas et prendre son dû. Je faillis sursauter en sentant un poids finir sur mes pieds mais le poids en question se mit de suite à ronronner. Il semblait que Glacier n'avait pas envie de me laisser seul avec Eirik. Je ne savais pas quoi en penser. J'espérai qu'il n'était pas traumatisé en tout cas. Je revins à mon vampire, me demandant vaguement ce qu'il lisait alors que je me préparais mentalement au sommeil.

Je ne pouvais que croiser les doigts dans l'espoir que ça n'était pas trop abîmé mais je ne me faisais pas non plus d'illusion. Je pris à Eirik son livre et je l'attirai contre moi avec toute la force que j'avais, au final rien à côté de lui.

-Dépêche-toi, je veux bien dormir.

Je traçai ma carotide du bout de l'index, l'air peut-être un peu sensuel bien que l'idée de quoique ce soit du genre me passait loin au-dessus des alouettes. Je savais que me sentir en son pouvoir le rassurerait encore plus. Et c'était ma façon de lui prouver que je lui faisais confiance même s'il n'était parfois qu'une brute avec moi.

-Et ne me dis pas que tu prends autant de temps parce que je ne suis pas tout nu, sinon tu es juste un pervers.

Petite pique, retour de la veille. J'eus un petit rire alors que Glacier semblait miauler son approbation. Oh oh, ils allaient encore avoir un combat de regards, eux...

Ah, il semblait se réveiller et reprendre un peu plus du poil de la bête. En même temps, quand on parlait de sang à un vampire, ça paraissait logique. Je sentis ses lèvres sur ma gorge, son sourire comme quoi l'idée de me boire pouvait vraiment le ravir. Je ne voyais toujours pas en quoi mais après, quand il s'agissait de nourriture, les hommes étaient toujours plus ou moins enthousiastes, pas vrai ? Je me retins de rouler des yeux quand il commença avec ses "premièrement", etc... La preuve que des fois, il me prenait vraiment pour un gamin.

J'aurais voulu répondre mais le fait qu'il lèche mon cou me fit frissonner et rougir. Je levai les mains pour m'agripper à lui, écoutant la suite. Comment osait-il alors que c'était lui qui m'avait dit de le laver ? Il fallait bien que je regarde pour faire les choses. J'émis une sorte de grognement que se transforma en gémissement surpris quand il me mordit sans prévenir. Ça lui ressemblait bien ça, c'était une autre de ses façons d'affirmer sa dominance sur moi. Il avait tellement besoin de se sentir en contrôle... Je m'entendais vaguement gémir de plaisir, les ongles plantées dans ses épaules. Je ne savais pas si je lui faisais mal mais il aurait du mal à se plaindre dans cette situation.

Je me sentis complètement épuisé quand il se détacha de moi mais je regrettai un peu qu'il ne m'embrasse pas. Enfin, s'il avait apprécié, c'était déjà ça... Je me retins de fermer les yeux, le corps tout lourd maintenant. Je tournai la tête vers lui pour rétorquer gentiment :

-C'est toi qui m'a invité à te laver... Sans regarder, j'aurais fait n'importe quoi...

Hum, j'avais la voix pâteuse et l'impression de sombrer, ce qui devait être vrai. Je pouffai quand même.

-Heureusement pour ma vertu, j'ai un pyjama...

Preuve que c'était lui le pervers. Mince, je n'avais pas la force de refermer les boutons. Glacier nous regardait, surveillant presque Eirik ce qui était... bizarre non ? Des fois, je me demandais si la magie n'influençait pas sur l'intelligence des animaux... Je baillai contre mon épaule puisque je n'avais pas la foi de lever une main pour ne pas faire impoli. Et je m'excusais parce que j'étais bien élevé... Hum, bien élevé... Oui oui, je m'étais élevé tout seul, je l'admettais enfin.

Je lui fis signe de se rapprocher, lui volai un petit baiser et je me blottis le mieux possible contre lui pour m'endormir sans plus de sommation. C'était parti pour prendre un peu soin de moi...