L'idée me trottait en tête depuis plusieurs mois maintenant. Quoi que ça faisait plusieurs années que je l'avais sans qu'elle ait été réellement formulée, et ça ne faisait maintenant aucun doute : j'avais besoin d'apprendre certaines choses bien plus importantes que l'histoire de ce monde, ou que l'art, malgré mon attrait tout particulier pour cette matière. Le problème, c'était que j'avais choisit de faire ça discrètement, et que je ne voulais pas me lancer dans de nouvelles études pour le moment, ni faire des choses pas très recommandables en douce. Je voulais savoir comment fonctionnait un cerveau, quelles étaient ses différentes parties, à quoi elles servaient, et seul je ne m'en sortais pas. Seulement, je me voyais assez mal me pointer devant le premier venu pour poser la question. Il faut dire qu'annoncé comme ça, ça fait assez louche.

Je m'étais donc renseigné sur les personnes qui pourraient éventuellement m'aider, éliminant d'emblée les humains de la liste. Ils poseraient des questions auxquelles je ne devrais pas répondre, ça serait trop agaçant. Au bout de quelques temps, alors que je n'avais pas trouvé de candidat satisfaisant, et que je commençais à me décourager un peu, et me demander si je n'allais pas devoir changer de méthode, j'ai entendu parler de l'arrivée d'un nouveau docteur dans l'école. J'avoue que c'était inespéré : un docteur doublé d'un thanatopracteur, il n'est pas humain, il est déjà dans l'école, et au vu de sa réputation, il semblait largement compétant ! Il ne restait plus qu'à réussir à le convaincre, ce qui n'allait peut être pas être le plus facile.

J'avais enfin réussi à me libérer pour une journée, l'air commençait à se rafraîchir, et le soleil se faisait plus faible. J'avais ressortit un manteau léger par dessus une tenue assez stricte et sombre que j'avais choisit par réflexe, à croire que je commençais à avoir trop l'habitude des vernissages. Je sortis bientôt de ma chambre, et bien qu'il soit encore assez tôt dans la matinée, je savais que l'infirmerie était toujours ouverte, et il y avait de fortes chances pour qu'il y soit. Je n'avais pas poussé le vice jusqu'à stalker son emploi du temps, j'avais simplement posé la question à une infirmière, et peut importe si elle lui en avait parlé ou non.

J'avais traversé l'établissement pour rejoindre l'infirmerie, où j'avais été accueillit par la forte odeur de désinfectant qui me fit plisser le nez. J'allais probablement devoir faire avec pour quelques temps. La salle avait l'air plutôt calme, ce qui allait être un avantage, j'aurai moins de mal à lui demander de l'attention… à priori du moins. Je ne savais rien de sa personnalité, et il ne manquerai plus que je tombe sur un nouveau taré. Bref, j'ai poliment interpellé une jeune infirmière qui passait près de moi, et avec un sourire elle me désigna un homme au fond de la pièce, avant de retourner vaquer à ses occupations. Bon, jusque là, tout allait bien. Le plus difficile serait à venir, puisque j'allais devoir le convaincre, et forcément pour ça, j'allais devoir expliquer mes motivations.

Je suis arrivé à sa hauteur, et la première chose qui m'a frappé, c'est qu'il était... grand. Très grand, c'était presque déstabilisant. Son visage était très typé égyptien, mais je n'avais pas particulièrement fait de recherches sur ses origines plus anciennes. Je me suis assuré qu'il ne soit pas plongé dans je ne sais quelle activité avant de m'adresser à lui d'un ton neutre.

« Bonjour, excusez-moi de vous déranger docteur, serait-il possible de vous parler en privé un instant ? »

En temps normal, je me serai présenté directement, mais là, j'espérais le sonder un peu avant. Je n'ai pas envie de m'afficher, ou afficher mes motivations, j'ai toujours préféré rester un peu discret sur mes capacités.

Au premier abord, le docteur semblait plutôt polis et réceptif. Bien sûr, je n'en déduisais encore rien sur sa personne, quand j'entendis mon nom sortir de sa bouche. Ah… C'est raté pour l’anonymat. Je vais finir par croire que c'est une manie chez le personnel de connaître mon nom avant même que je ne les rencontre. Au moins, j'ose espérer que ce n'est pas pour les mêmes raisons que Caleb, ça finirait par être agaçant. Enfin, toujours est-il qu'il faut que je m'adapte à ça. J'ai hoché la tête avec un léger sourire pour confirmer mon identité, même si je suis sûr qu'en réalité, ça n'est pas nécessaire.

Je me suis assis comme il m'invitait à le faire, et j'ai apprécié de le voir fermer soigneusement la porte. Je notais aussi qu'il avait l'air un peu plus décontracté que ce à quoi je m'attendais, à venir s'asseoir comme ça sur le bord de son bureau. Quant à moi, j'étais droit sur ma chaise, les mains sagement posées sur mes genoux.

« J'ai une requête qui pourrait paraître un peu étrange et délicate à vous soumettre.  Bien sûr, je n'en serai pas offensé si vous refusiez, je comprendrai tout à fait, mais j'espère pouvoir compter sur votre discrétion dans tous les cas. »

En même temps, dans le cas contraire, on prétendrait assez vite qu'il ne saurait pas s'en tenir au secret professionnel… mais je ne profère aucun avertissement, je ne juge pas ça nécessaire.

« Puisque vous semblez savoir qui je suis, j'imagine que vous n'ignorez pas que je suis étudiant en art… Pourtant dans un cadre plus privé, j'aurais besoin de certaines notions assez poussées en médecine. Comme vous avez pu le comprendre, j'aimerai que mes recherches ne s'ébruitent pas, mais je ne dispose ni des connaissances, ni des ressources nécessaires pour m'y retrouver. »

Je pourrais très bien me payer tout ce qui serait nécessaire à mes expériences, mais je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il me faut. C'est bien beau de lire des bouquins, mais très vite ça n'a plus aucun sens pour moi, je m'embrouille déjà, alors qu'il faudra bien que je passe à la pratique un jour. Je me suis arrêté un instant, passant brièvement ma langue sur ma lèvre inférieure. Je n'aime toujours pas avoir à demander quelque chose, et certainement pas de cette façon, mais sans ça, je pourrais difficilement avancer, alors je me lance :

« Alors pour aller droit au but, je souhaite étudier le fonctionnement du cerveau, et après m'être beaucoup renseigné, je suis convaincu que je trouverai difficilement une personne plus adéquate que vous vers qui me tourner. Si vous acceptez, j'aimerai que vous m'en appreniez le plus possible sur le sujet, ou tout du moins que vous me guidiez dans mes recherches, tout en sachant que mes connaissances en médecine restent malheureusement très basiques. »

Bon, je ne vais pas avouer que l'idée qu'il soit thanatopracteur m'emballe aussi, parce que ça me ferait des sujets d'études éventuels, on verra plus tard. Sans compter que ça pourrait aussi le contrarier que je veuille profiter de son travail. Alors maintenant, j'attends la question : « Mais c'est pour quoi faire tout ça ? ». Bien sûr, je ne perds pas non plus une miette de ses réactions. J'aimerai savoir exactement à qui je m'adresse.

J'étais satisfait de ne pas le voir réagir tant que ça alors que je lui soumettais ma requête, ça prouvait que je ne m'étais pas trompé en le choisissant. Il me parla de la complexité de la chose, mais ça je le savais déjà, sinon je n'aurais pas prit la peine de chercher de l'aide.

« Je n'ai pas vraiment ce genre de motivations. Disons plutôt que j'ai constaté certaines choses que je voudrais confirmer, mais je ne dispose pas des connaissances nécessaires pour le faire. »

Si j'avais besoin de savoir tout ça pour soigner Tara, je serai déjà le plus grand des experts… Ça ne veut pas dire que je manque de motivation, mais ces deux choses ne se comparent pas. Il me demanda ensuite jusqu'où j'avais pu apprendre, et j'aurais presque honte d'avouer que je suis juste capable d'effleurer le sujet. À la base, à part la médecine des plantes, ça ne m'intéresse pas le moins du monde, et mon esprit a tendance à partir vers d'autres sujets au bout de quelques heures, chose étonnante quand on voit mon niveau de concentration quand je peins.

« J'ai pu faire des recherches sur les principales régions du cerveau, leurs fonctions et constitution, et certains raccordements nerveux, mais j'avoue que je ne suis pas allé beaucoup plus loin, la théorie me fait vite m'emmêler les pinceaux. »

Je m'attendais à ce que l'idée l'intrigue, et je fus ravi qu'il me donne aussi vite son accord. Un sourire s'afficha même sur mon visage. Évidemment, je suis conscient que ça ne va pas se faire du jour au lendemain, et qu'il ne m'accordera pas tout son temps libre, mais ça va me permettre d'avancer beaucoup plus vite.

« Ça me semble parfait. Votre aide sera précieuse. »

Tout compte fait, ça se passait très bien, et j'étais satisfait. Je doute que les choses se serait déroulé de la même façon avec un autre, qui m'aurait demandé quelque chose en contrepartie, il aurait fallu aussi que je flatte son égo, que je négocie… bref, ça aurait demandé beaucoup plus d'efforts. J'ai replacé distraitement mes cheveux derrière mes épaules, avant de me décider à m'expliquer un peu plus. Oui, parce que c'est seulement en ayant son accord de principe que j'accepte de lui en parler. J'aurais pu baratiner bien sûr, mais il s'en serait rendu compte tôt ou tard.

« Je vous remercie de ne pas m'avoir assailli de questions directement, et je vais être honnête avec vous. »

J'ai levé ma main droite à hauteur de mon visage, serrant mon pouce et mon index. En les séparant, un éclair est apparu, s'étirant rapidement sur toute ma main avant de disparaître.

« Quand je suis suffisamment près d'une personne, avec un peu de concentration, je parviens à sentir les minuscules charges électriques dans son crâne, et les sens se diffuser dans son corps. Je peux facilement provoquer un court circuit, et plus difficilement le faire disjoncter brièvement, mais je ne veux pas me résoudre à tuer ou endommager grièvement au moindre problème. De plus, je n'ai pu que constater qu'un petit coup de jus mal contrôlé pouvait avoir des conséquences inattendues. »

Du genre : un membre prit de spasmes alors que le reste fonctionne très bien. C'est assez déstabilisant, surtout quand ce n'est absolument pas l'objectif. J'ai croisé les jambes, puis j'ai poursuivit.

« J'imagine que maintenant vous comprenez mieux ce que je recherche. Pour l'instant, j'ai beau réussir à le sentir, bien qu'avec difficultés, ça reste un fouillis électrique, tellement labyrinthique que je ne m'y retrouve pas. »

Si je m'amuse à tirer sur tous les fils un par un, juste pour voir ce que ça fait, j'en ai pour des siècles.

« Je veux m'améliorer, maîtriser mieux cette partie de mes pouvoirs, et accessoirement, constater jusqu'où je peux aller, et où se dressent mes limites. »

Je me dis qu'en tant que scientifique, peut être même que mes recherches vont l'intriguer et le motiver, qui sait ?

J'étais presque surprit de l'entendre me parler de pratique. Je commençais à me dire que ce docteur était étonnamment ouvert envers un étranger, peu de gens auraient accepté aussi rapidement de proposer leur aide, alors qu'il accepte de m'apprendre à décortiquer des cerveaux alors que je viens de lui dire que je ne suis pas très doué… enfin, ça m'arrange bien sûr !

Après ma démonstration, je n'avais pas flanché sous son regard qui me scrutait. Je sentais que ça ne l'avait pas fait changer d'avis. J'ai eu un léger sourire amusé quand il a reprit mes termes, mais en réalité, ce qu'il me balança ensuite tout à fait banalement me donnait presque une migraine aux souvenirs des heures que j'ai passé là dessus sans en comprendre un mot. J'ai regardé le livre qu'il était venu déposer devant moi, et constaté que c'était exactement le labyrinthe dont je parlais, à part que je le percevais d'une façon plus sensitive.

Ce qu'il m’annonça n'était pas une surprise, j'étais déjà parvenu à cette conclusion tout seul, même si j'avais espéré ne pas avoir à pousser mes études aussi loin. Si seulement ça pouvait juste se limiter au crâne… La question qu'il me posa ensuite me surprit un peu, et je haussais légèrement un sourcil avant de répondre.

« Je le comprends, oui. J'ai tendance à penser que j'ai beaucoup de points communs avec celui-ci. Il est beaucoup plus facile pour moi de manipuler de grandes quantités d'électricité puisque je n'ai fait presque que ça en presque deux millénaires, et ça ne fait que quelques années que j'ai comprit qu'il y avait autre chose à faire de ce don. »

Notamment parce que ma force brute est loin d'être impressionnante dans ce monde, et qu'une attaque directe n'est pas toujours judicieuse. Et puis j'aime avoir de nombreux atouts dans mes manches.

J'ai penché la tête sur le côté en l'écoutant parler. Alors déjà, ça faisait longtemps qu'on ne m'avait pas dit que j'étais jeune, 1850 balais et des poussières est un age respectable pour ma race, mais passons. En revanche, je comprends tout à fait pourquoi il pense que je ne contrôle pas mon pouvoir. L'électricité est traître, toujours à chercher la moindre faille où s'infiltrer, elle s'exprime sans cesse, et elle peut paraître docile pour profiter de la moindre erreur pour prendre le dessus. C'est une part de moi qui peut s'exprimer sans crainte, je la contiens en moi, mais je n'ai pas la moindre envie de l'étouffer. Je surveille mon comportement, je me contiens, et je m'écrase en attendant les bonnes opportunités, chose difficile avec mon côté impulsif, mais si je laisse mon énergie réagir, elle me libère d'une bonne partie de mon fardeau.

« C'est un choix. J'ai tendance à laisser mon énergie vagabonder librement, par pur soucis de confort. Je croise généralement peu de gens capables de s'en rendre compte, et encore moins de la voir aussi distinctement. »

Et pour lui faire une petite démonstration, j'ai remanié mon énergie. Je l'ai lissé, adouci, et elle s'est rangé sagement, circulant paisiblement en moi, comme l'eau qui coule sans une éclaboussure. Elle est comme ça quand je suis détendu, et en général chaque fois que je suis en compagnie de Tara.

« Je pourrais la maintenir en permanence de cette façon, mais je trouve ça beaucoup moins naturel, et pas tellement en accord avec mon caractère. Mon énergie est électrique, je suis convaincu qu'il n'y a pas de meilleure façon de n'être qu'un qu'en la laissant être elle-même. »

Forcer mon énergie a rester sage revient à nier une part de ma nature. L'électricité peut être canalisée, mais elle garde son caractère. La sentir se promener librement tout autour de moi me procure une sensation de bien-être et de chaleur dont je n'ai pas envie de me passer, simplement pour paraître plus ''mature'', ''contrôlé'', ou je ne sais quoi d'autre. Quant à parler d'osmose, elle n'est certes pas parfaite puisque j'ai du mal à sentir les plus petites charges, mais l'électricité reste une amie dans laquelle je me coule avec délice.