Aliya pensait, en venant ici, que des choses, sa vie, changeraient. Malgré qu'elle n'a passé que seize années chez les Nagas, comparés à d'autres, elle en avait déjà marre de cette ambiance autoritaire, froide, ennuyante. Mais en réalité, rien n'avait changé. A part sa timidité, peut-être, qui s'était accrue.    
Les journées étaient longues et se répétaient toutes. Aliya allait en cours, rentrait dans sa chambre, faisait ses devoirs. Après ça, que pouvait-elle faire d'autre ? Parfois, elle allait se baigner, tard le soir, quand la plage était vide. Le reste du temps, elle restait dans sa chambre. Bien souvent, elle rattrapait ses nuits dans l'après-midi, mais ça ne faisait que décaler son rythme encore plus.

Aliya venait à peine de se réveiller il y a quelques heures, et voilà que c'était déjà la nuit. C'est pas comme ça qu'elle arrivera à reprendre un rythme correct et faire ses nuits... Mais maintenant qu'elle n'était absolument pas fatiguée, que faire ? La chambre était complètement plongée dans le noir. C'est ce qu'elle préférait. Les endroits sombres. Même lorsqu'elle était petite. Sa mère lui interdisait bien évidemment d'aller nager dans les Profondeurs, mais comment résister à cette envie ? A cette envie de découvrir... Même si dans le noir on ne voit rien, on sait qu'il y a des choses. La plupart des personnes en ont peur ; pas Aliya. Elle est méfiante, très méfiante même, mais n'a jamais été peureuse. Chose qui étonne souvent lorsqu'on la voit et la connaît un peu.

Elle ouvrit la fenêtre en grand, et s'y accouda.
Lorsqu'elle allait dormir, elle prenait une potion pour ses jambes ; le lit était trop petit pour sa queue ! Si elle s'enroulait dedans, elle ne rentrait plus dans le lit, si elle enroulait sa queue, y a toujours un bout qui tombait, et c'était pire si elle ne l'enroulait pas. Avec des jambes, c'était plus pratique. Mais elle préférait tout de même sa queue.

La nuit semblait magnifique. Chaude et claire. Aucun nuage ne venait brouiller la vue d'ici.
Alors pourquoi ne pas aller en profiter ? Ça sera toujours mieux que de passer une nuit à rien faire. Surtout qu'à cette heure, tout doit être désert.
Aliya enfila rapidement une paire de chaussures, et sortit, sans faire de bruits. Elle arpenta le long couloir des chambres, tout aussi silencieuse.
Mais une fois sortie dehors, elle se mit à courir, sans aucune raison, à en perdre haleine, ses cheveux volants en tout sens. Rester enfermé dans une chambre, c'était clairement pas pour elle... Même si, on peut dire, qu'elle a toujours eu des jambes, ou du moins la possibilité d'en avoir, ce n'est qu'en venant ici qu'Aliya a découvert les joies de la course. C'était une telle liberté. C'était comme nager, mais sur terre. Sauf que courir, c'était quand même aussi plus fatiguant, du moins pour Aliya.
A la vitesse à laquelle elle courut, elle dû faire le reste du chemin jusqu'à la plage tranquillement à pied.

Comme elle se l'imaginait, la plage, cette nuit, était sublime. Quelques nuages cependant parsemaient le ciel, mais la lune, immense, éclairait l'eau d'un halo pâle mais rassurant. Et aucune autre âme à l'horizon.
Sans perdre de temps, Aliya enleva ses chaussures, sa robe, et ses sous-vêtements. Avec sa queue et ses écailles sur la poitrine, et surtout sur cette plage déserte, ils ne lui étaient d'aucune utilité. Elle abandonna le tout pas très loin du rivage, et parcouru, en courant, les quelques mètres qui la séparaient de l'eau. Puis plongea dans les vagues.
L'eau lui faisait un bien fou. Elle s'arrêta un moment, retrouvant sa longue queue, et remettant d'une main ses cheveux en arrière. Et replonge aussitôt dans l'eau. Sa queue s'agitait dans l'eau tel un serpent, rapide et précis. Aliya nageait si près du sol que sa poitrine l'effleurait ; la surface de l'eau ne tremblait même pas.
Elle nagea ainsi un bon moment, et lorsqu'elle sortit enfin la tête de l'eau, elle se rendit compte qu'elle s'était bien éloignée. Qu'importe. Aliya se mit sur le dos, et se laissa porter un moment par le courant, les yeux grands ouverts sur un ciel si beau et imposant.
Sentant qu'elle allait s'endormir, elle replongea dans l'eau, ce qui la réveilla assez rapidement. Elle resta toujours sous l'eau, mais nageant plus lentement cette fois, laissant ses doigts glisser dans le sable, ramassant quelques coquillages au passage, qu'elle perdait la seconde d'après.
La seconde fois qu'elle remit la tête dehors, elle constata avec surprise qu'elle n'était plus seule ! Elle s'était éloignée de là où elle était partie ; elle ne voyait même plus ses vêtements.
Mais là, juste en face d'elle, quelqu'un était assit...
Avec ses yeux de chats, Aliya avait une bien meilleure vue dans le noir que la plupart des gens. Mais il était tout près !
Ne sachant trop quoi faire face à cette présence, elle décida de repartir aussi vite dans l'eau. Peut-être un peu trop vite, d'ailleurs, car sa queue s'écrasa lourdement sur l'eau, éclaboussant au passage l'homme sur la plage...

Alors qu'elle faisait demi-tour, une voix, dans sa tête, lui parla ! Elle s'arrêta net. Qu'était-ce ? Elle n'avait pas rêvé, pourtant. Aucun doute, quelqu'un entrait en contact avec elle ! Ce qu'elle a justement essayé d'éviter il n'y a pas quelques minutes...
La "voix" se disait être un professeur. Aliya n'avait pas le droit de désobéir à un professeur. Mais qu'avait-elle fait ? Elle était pourtant irréprochable ! Et comment il la trouva, ici, sur la plage, et surtout, sous l'eau ? Trop d'interrogations. Quelque chose n'allait pas. Elle ne semblait même pas avoir remarqué l'avoir éclaboussé un peu plus tôt.
C'était étrange, tout de même...
Ce prof, ça devait être l'homme qu'elle a vu sur la plage. Était-il venu ici, en pleine nuit, jusqu'à elle ? Vraiment, vraiment bizarre tout cela...
Aliya ne se le fit pas dire deux fois pour autant. Elle revint presque aussi rapidement qu'elle était partie, mais restant tout de même à bonne distance, dans l'eau. Elle se releva, prenant appuie sur sa queue, se découvrant ainsi au professeur. Comment devait-elle réagir, sachant qu'elle ne savait même pas ce qu'elle a se reprocher ? Elle baissa néanmoins la tête, levant parfois les yeux vers lui.

Elle attendait alors silencieusement devant ce professeur qu'elle ne connaissait même pas. N'étant même pas sûre que ce soit vraiment un professeur ! Mais a apprit à Aliya a obéir, à quelque forme d'autorité que ce soit, qui ne mette bien évidemment pas sa vie en danger. Malheureusement, elle n'avait pas toujours un assez bon discernement pour ça. Mais dans tous les cas, elle pouvait s'enfuir, une fois de plus, et bien plus rapidement encore.


▬ Vous... Vous m'avez demandé, professeur ?Demanda-t-elle, d'une voix si hésitante et gênée qu'on aurait dit qu'elle allait se mettre à pleurer.  

A quoi devait-elle s'attendre ? Elle n'en avait pas la moindre idée.
Lorsqu'il s'approcha, elle, recula un peu, gardant ainsi toujours la même distance qu'elle avait imposé. Sa queue bougeait, très légèrement, signe de sa nervosité.

Et ce soupir, que voulait-il dire ? Rien de bon, pensa Aliya. Mais surtout, comment rester sereine lorsque de tels yeux vous fixent ? Qu'avait-elle pu faire de si grave ?
Elle n'osait toujours pas le regarder. Elle ferma même les yeux lorsqu'il commença à parler... Sa voix était d'un froid exquis. Tellement qu'Aliya en frémit.
La jeune fille a pourtant toujours su se faire discrète, mais voilà qu'à peine arrivée ici, elle attirait déjà l'attention d'un professeur sur elle, et surtout de la sorte... Si elle s'était rendue compte de ce qu'elle avait fait, elle se serait excusée, bien évidemment ! Mais maintenant, c'était trop tard. Et elle n'aurait clairement pas le courage d'expliquer au professeur qu'elle n'a même pas remarqué sa maladresse.
Elle n'osait toujours pas osé ouvrir les yeux. Dans son ancien village, une telle chose ne serait pas passée avec des excuses. Ici, peut-être, mais Aliya n'arrivait plus à dire un mot.
Elle murmura quelque chose, mais si bas, et avec la tête baissée... Mais même si elle l'avait dit plus fort, ça serait resté incompréhensible. Elle réessaya, encore une fois, mais elle n'y arrivait toujours pas.
Sa trop grande timidité n'allait certainement pas avec sa trop grande sensibilité. Elle n'aurait même pas pu s'enfuir, même si elle l'aurait voulu.  
Quelle honte ! Aliya avait un vrai don pour se mettre toute seule dans de telles situations inconfortables, surtout pour elle, mais aussi bien souvent pour ses interlocuteurs. Ou tout du moins les personnes qui essayaient de rentrer en contact avec elle.
Surtout pour une simple histoire d'éclaboussure ! On en viendrait presque à se demander ce qu'elle subissait pour moins que ça. Rien du tout, bien évidemment, mais avec ses airs de chien battu...
Et que pouvait-elle faire, à présent, à part essayer de retenir ses larmes ?